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Démilitariser la politique musulmane 31 janvier 2012

Posted by Acturca in Middle East / Moyen Orient, Turkey / Turquie.
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Le Figaro (France) no. 20994, mardi 31 janvier 2012, p. 15             English 

Shahid Javed Burki *

Pour l’ancien ministre des Finances du Pakistan et vice-président de la Banque mondiale, la véritable révolution arabe aura lieu quand sera mise en place une incontestable gouvernance civile.

Les gouvernements musulmans peuvent-ils se libérer de leurs puissants militaires et mettre en place une gouvernance civile comparable à celle des démocraties libérales ? Cette question devient capitale pour des pays aussi différents que l’Égypte, le Pakistan et la Turquie.

Prédire le déroulement de cette lutte exige de comprendre l’histoire de la région. Depuis sa fondation au VIIe siècle, l’islam a maintenu une tradition de profond engagement militaire tant en matière politique que de gouvernance.

Il était de la responsabilité de l’armée de développer l’implantation de l’islam à travers le Moyen-Orient, en Perse, au sud de l’Europe et sur le sous-continent indien. Et une fois qu’un État musulman était établi sur ces terres nouvellement conquises, les militaires étaient naturellement impliqués dans son gouvernement.

C’est dans l’Empire ottoman que cette intégration de l’armée dans l’État fut la plus visible. Ses dirigeants avaient créé un nouveau type de force militaire, constituée de janissaires (des conscrits chrétiens qui servaient dans les unités d’infanterie ottomanes), soit recrutés en Europe, soit enrôlés de force dans les pays contrôlés par les Ottomans.

Cette domination des militaires dans les pays musulmans s’est maintenue jusqu’à l’effondrement de l’Empire ottoman au début du XXe siècle. Les puissances coloniales qui ont pris la place laissée vacante par l’empire déclinant avaient leurs propres armées, et n’avaient donc pas besoin des forces locales pour gouverner. Mais lorsque les Européens se sont retirés du monde musulman, ces forces se sont précipitées pour récupérer le contrôle politique.

Les militaires sont arrivés au pouvoir en Égypte, au Pakistan et dans d’autres pays arabes au début et au milieu du XXe siècle. En Turquie, les militaires se sont autoproclamés gardiens de la République laïque de Turquie, fondée en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk, lui-même un militaire.

Aujourd’hui, les révolutions qui secouent une grande partie du monde arabe sont perturbées par le passé militaire de l’islam. Dans la première phase de ces soulèvements populaires, les exclus économiques et politiques ont commencé à réclamer leur intégration et leur participation. Une deuxième phase est en marche, marquée par des pressions fortes pour évincer du pouvoir le vieil establishment militaire. Cette lutte se manifeste de différentes manières en Égypte, en Turquie et au Pakistan.

En Égypte, la majorité de la population désire que les militaires quittent le pouvoir et retournent dans leurs casernes. Essam el-Erian, un haut responsable du parti islamiste Liberté et Justice, lié aux Frères musulmans, qui a remporté le plus de sièges aux élections parlementaires, a récemment averti que les dirigeants militaires n’abandonneront pas le pouvoir volontairement.

Il faudra les persuader de le faire ou les y forcer. Dans cette optique, le Parlement devra, dans un premier temps, défendre son autorité pour la nomination des cent membres de l’Assemblée constitutionnelle en projet.

La Turquie est celle qui a le mieux réussi à réduire l’empreinte de l’armée dans sa vie politique

En Turquie, le parti Justice et Développement, très ancré dans la tradition islamique du pays, veut limiter le rôle de l’armée. Les forces armées revendiquent cependant un mandat constitutionnel de protection des traditions laïques de la République, défendant ainsi le kémalisme.

Malgré tout, la Turquie est celle qui a le mieux réussi à réduire l’empreinte de l’armée dans sa vie politique. Le charismatique premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, après avoir remporté trois élections consécutives, est parvenu à imposer son pouvoir.

De manière controversée, il a fait incarcérer le plus haut gradé des généraux, Ilker Basbug, accusé par les procureurs turcs – sans fondements, selon un certain nombre d’observateurs – de fomenter un complot pour renverser le gouvernement.

Enfin, l’armée pakistanaise, qui gouverne le pays depuis un peu plus de trente ans, soit la moitié de ses 64 années d’histoire, lutte durement afin de préserver son influence sur les décisions politiques.

Humiliée par son incapacité à contrôler les opérations militaires américaines, y compris celle qui a permis de tuer Oussama Ben Laden, l’armée peine à préserver son rôle dans les relations en constante évolution du pays avec l’Inde et les États-Unis. Néanmoins, les chefs militaires ont récemment déclaré qu’ils n’avaient aucune intention d’intervenir en politique.

Le printemps arabe a provoqué la chute de quatre régimes implantés de longue date, tandis que la pression monte pour les autres. Les peuples arabes ont désormais l’espoir que leurs gouvernants seront soucieux de leurs besoins. Mais, cette véritable révolution n’arrivera que lorsque de vrais représentants des citoyens, et non des militaires, pourront déterminer l’avenir politique de leur pays.

* Actuellement directeur de l’Institut de politique publique à Lahore
(Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats) © Project Syndicate, 2012. http://www.project-syndicate.org

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