Turquie : le rêve évanoui d’un nouvel ordre régional 27 août 2012
Posted by Acturca in Middle East / Moyen Orient, Turkey / Turquie.Tags: Ahmet Davutoglu, diplomatie, politique étrangère
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Le Monde (France) lundi 27 août 2012, p. PEH7
Géo & Politique
Guillaume Perrier, Istanbul (Turquie), correspondance
30 août | Participation de la Turquie à une réunion de l’ONU sur la Syrie. Se posant comme modèle, le gouvernement islamo-conservateur a voulu faire le pont entre l’Orient et l’Occident. Mais les « printemps arabes » ont réaligné sa politique étrangère sur celle de Washington.
Rien ne semblait pouvoir arrêter Ahmet Davutoglu en 2010. Sous l’impulsion de cet universitaire promu ministre des affaires étrangères par Recep Tayyip Erdogan, la « diplomatie à 360 degrés » de la Turquie volait de succès en succès. Le magazine américain Foreign Policy décrivait alors le professeur diplomate comme « le cerveau derrière le retour de la Turquie sur la scène mondiale ». Sa première année aux manettes avait dessiné une diplomatie ambitieuse, le ministre passant jusqu’à vingt-cinq jours par mois en voyage officiel pour mettre en pratique son traité théorique écrit à la fin des années 1990, « Profondeur stratégique » (non traduit en français), ou comment bâtir un espace régional pacifié pour assurer aux Turcs sécurité et prospérité économique. Cette stratégie s’est résumée en une formule devenue le mot d’ordre de M. Davutoglu : « Zéro problème avec les voisins. » Deux ans plus tard, force est de constater que cette entreprise est un échec. Le « printemps arabe », notamment, est passé par là.
L’axe fort de cette diplomatie de bon voisinage était le rapprochement avec la Syrie de Bachar Al-Assad. Avant que n’éclate la révolution de mars 2011, M. Davutoglu s’était rendu en mission à Damas plus d’une cinquantaine de fois, les deux pays avaient tenu deux conseils des ministres communs fin 2009, dont l’un à Alep, et aboli les visas pour leurs ressortissants. En janvier 2010 encore, Recep Tayyip Erdogan inaugurait avec son homologue syrien le barrage de l’Amitié, sur l’Oronte, le long de la frontière. Cette tactique de rapprochement a toutefois fait long feu. Le ministre des affaires étrangères n’a pas été, plus que d’autres, capable de faire cesser la répression. Et la frontière avec la Syrie, la plus longue que possède la Turquie, est de nouveau militarisée, comme dans les années 1990. Tension aggravée par le fait que la Turquie accueille jusqu’à présent quelque 45 000 réfugiés syriens.
A chaque frontière, son problème avec un voisin. Celle avec l’Arménie demeure fermée, et le dialogue, lancé en 2009, a échoué. L’amitié naissante avec la Grèce, censée créer une passerelle vers l’Union européenne (UE), a souffert de l’effondrement économique du voisin hellène. La question chypriote continue d’empoisonner les liens bilatéraux. La république de Chypre assure la présidence tournante de l’UE et l’île reste divisée, l’autre moitié étant occupée par la Turquie. Toutes les tentatives de négociations ont fait chou blanc. Le dossier continue de peser sur les négociations d’adhésion à l’UE, en panne depuis plusieurs années. La Turquie maintient tout de même l’objectif d’une adhésion « pleine et entière » pour elle-même et mise sur un réchauffement des relations avec la France, entrevu en juillet à Paris avec la visite de M. Davutoglu auprès du nouveau gouvernement français, pour relancer le processus.
Avec l’Irak, d’importantes divergences sont apparues. Début août, la visite de M. Davutoglu à Kirkouk, ville du nord de l’Irak disputée par les Kurdes, a irrité le gouvernement central de Bagdad, dominé par les partis chiites, et son premier ministre Nouri Al-Maliki, qui n’avait pas été averti de ce voyage. Déjà, la protection accordée au leader sunnite irakien Tarek Al-Hachémi, réfugié à Istanbul alors qu’il est poursuivi pour complicité d’assassinat par la justice irakienne, avait semé le trouble. Et dans le conflit pétrolier qui oppose Bagdad à la région autonome kurde, la Turquie a choisi son camp en nouant des liens privilégiés avec la famille Barzani (Massoud Barzani est le chef du gouvernement autonome kurde d’Irak). En juillet, le Kurdistan a exporté directement du pétrole vers la Turquie, provoquant la fureur de Bagdad.
Avec l’Iran, les relations ne sont jamais sorties d’une méfiance réciproque, malgré les tentatives de M. Davutoglu de jouer les médiateurs sur le programme nucléaire iranien. Les révolutions dans le monde arabe ont ravivé les éternelles tensions entre chiites et sunnites dans la région. Téhéran, fer de lance de l’axe chiite, et Ankara, puissance sunnite, qui s’est rapprochée des monarchies du Golfe, ont des intérêts de plus en plus divergents.
L’ambition d’Ankara, qui était de jouer le rôle de pont entre l’Orient et l’Occident, a été largement déçue. En 2008, M. Davutoglu avait tenté le pari de faire asseoir à la même table Israël et la Syrie, utilisant ses bonnes relations avec les uns et les autres. Non seulement la tentative a échoué, mais Ankara est désormais brouillé avec les deux pays. « Il n’y a plus trace aujourd’hui de cette Turquie qui poursuivait de nouveaux objectifs avec l’Union européenne, Israël et l’Iran d’un côté, et, de l’autre, concevait des projets à long terme avec la Syrie, la Russie et les Etats-Unis. La Turquie est revenue à la politique étrangère qu’elle menait avant l’arrivée au pouvoir des islamo-conservateurs de l’AKP, en 2002. Il n’existe aujourd’hui pratiquement aucun pays limitrophe avec lequel la Turquie n’ait de problèmes », juge Cumali Onal, chroniqueur au journal Zaman, ancien thuriféraire de la politique de M. Davutoglu. « Ni Israël ni les groupes palestiniens ne font plus mention de la Turquie, cite-t-il en exemple. Nous voyons aujourd’hui à quel point les efforts turcs se sont révélés improductifs. »
Ankara aurait-il perdu de sa fameuse influence dans les révolutions arabes ? « Quatre pays qui ont renversé leurs dictateurs – l’Egypte, la Libye, la Tunisie et le Yémen – ne voient plus la Turquie comme un modèle, malgré les efforts et les initiatives diplomatiques déployés », estime M. Onal. La priorité de l’Egypte, c’est l’Arabie saoudite, destination du premier voyage du président Mohamed Morsi. Pour nombre d’observateurs, la Turquie, faute d’avoir su créer un nouvel ordre régional, est revenue à l’ordre ancien et à un alignement sur la politique étrangère de Washington : membre de l’OTAN depuis 1953, Ankara a notamment autorisé l’installation sur son sol de radars antimissiles tournés vers l’Iran. Dès lors, le pouvoir de médiation de la Turquie s’est évanoui.
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