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Quand les civilisations s’affrontent 29 septembre 2012

Posted by Acturca in Art-Culture, Books / Livres.
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Le Devoir (Canada)  samedi 29 et dimanche 30 septembre 2012, p. F4

Gilles Archambault

Si le fait qu’un écrivain soit à la fois chanteur folk et homme politique ne vous pose pas de problème, Ömer Zülfü Livaneli est une figure qui peut vous être sympathique. Ajoutons que ce romancier turc est aussi réalisateur de cinéma, journaliste, qu’il est ambassadeur de l’UNESCO pour le pluralisme et la tolérance et qu’il a été député, portant les couleurs du Parti républicain du peuple. Cet homme de gauche est aussi l’auteur de Délivrance, roman vendu à plus de cent mille exemplaires dans son pays.

Le roman qui nous occupe aujourd’hui a pour figure centrale une dame de 80 ans. Chassée de la dépendance qu’elle occupait depuis toujours sur le terrain d’une riche villa sur les rives du Bosphore, Leyla décide de s’asseoir au bord de la route sur une valise contenant l’essentiel de ses possessions. Des âmes compatissantes ont beau lui demander d’être raisonnable, elle ne veut pas entendre raison. Ne détient-elle pas un document légal qui lui accorde le droit de vivre en toute liberté dans une retraite qui lui permettait d’attendre la mort ?

Leyla est une aristocrate déchue. Le nouveau propriétaire qui la chasse de son refuge est un Ömer, fils d’un ancien domestique, devenu maître de garde-manger et intendant. Homme sans force de caractère, bien qu’à la tête d’une immense fortune, il est dominé par Necla, sa femme, qui voue une haine féroce à son beau-père, Ali Yekta Bey, à qui elle reproche son passé de larbin.

C’est Yusuf, fils du jardinier du domaine, aspirant journaliste et amant de Roxy, chanteuse hip hop, qui la convainc de venir habiter avec eux dans un taudis du quartier bohème de Cihangui, partie d’Istanbul qu’elle ne connaît pas et qui ne peut la consoler de quitter les rives du Bosphore. L’apprentissage de cette nouvelle vie n’est pas facile. Roxy, qui se remet à peine d’une enfance en Allemagne pendant laquelle on lui a fait sentir que ses origines turques n’étaient pas bienvenues, est fort réticente aux débuts à accueillir la vieille dame. Cette dernière finira par apprendre par une photo qu’elle est la descendante d’une liaison entre son aïeule et un officier britannique des forces de l’Occupation.

Les choses s’enveniment entre Ali Yekta Bey et sa belle-fille. Elle lui refuse le droit de venir s’installer dans la villa qui vient d’être rénovée à grands frais. Voulant à tout prix que cette demeure princière devienne le lieu où se dérouleront de fastueuses soirées mondaines, elle n’accepte pas qu’un ancien domestique y ait une place. Outré par l’attitude de non-ingérence adoptée par son fils, et à la suite de rebuffades pour lui humiliantes, Ali Yekta Bey tue Necla.

En prison, le meurtrier refuse tout contact avec le monde extérieur. Même Ömer ne réussit pas à percer le mur du silence. Il s’estime trahi par un fils à qui il croyait avoir tout donné, une éducation supérieure et les moyens de sortir de la classe qui l’avait vu naître. Quant à Leyla, elle ne se reconnaît plus dans le monde qui l’entoure. Revenue vivre dans la petite demeure d’où on l’avait chassée, elle ne pense plus qu’au passé.  » Elle avait le sentiment qu’elle trahissait son passé chaque fois qu’elle passait un moment à penser à ses oncles et à ses tantes, mais, le plus important, c’est que s’enterrer dans le passé était comme un baume qui la délivrait de toutes les angoisses de la journée. Et pourtant, être seule ne lui suffisait désormais plus.  »

Le charme de ce roman se trouve dans la description d’un monde pluriel dans lequel s’affrontent différentes couches sociales. Et aussi dans l’habileté de l’auteur à faire admettre le comportement de personnages qu’un mauvais romancier aurait rendu improbable parce que jamais très loin du cliché. J’en veux pour preuve la figure même de Leyla, surnommée  » La Grande Dame  » qui constituait l’embûche la plus dangereuse. Il n’en est rien. Cette grande dame n’est pas une superwoman, elle a ses grandeurs, ses misères. Puisqu’il est question de charme, ne pas oublier la présence du Bosphore, l’existence d’une ville, Istanbul, le comportement de ses citoyens issus de tant de civilisations contrastées.

Vous ai-je convaincu que cet homme de gauche, Livaneli, est un admirable conteur ? À lire, toutes affaires cessantes.

La maison de Leyla
Livaneli
Roman traduit du turc par
Madeleine Zivaco
Gallimard, « Du monde entier »

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