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Nuages sur le modèle turc 12 octobre 2012

Posted by Acturca in Middle East / Moyen Orient, South East Europe / Europe du Sud-Est, Turkey / Turquie, Turkey-EU / Turquie-UE.
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Libération (France) vendredi 12 octobre 2012, p. 6
Le Libé des géographes

Marcel Bazin *

La doctrine «zéro problème avec les voisins» de l’AKP, parti islamiste modéré au pouvoir, est un échec. Jusqu’à ces derniers mois, tout semblait sourire à la Turquie : performances économiques, affirmation politique d’un «modèle turc» proposé aux révolutions arabes. A partir de ses succès économiques, la Turquie a cherché à s’affirmer sur le plan politique. Le Parti de la justice et du développement (AKP) de Recep Tayyip Erdogan, qui se présente comme islamiste modéré, gouverne la république laïque depuis 2003. Le pays a élaboré une doctrine, formalisée par Ahmet Davutoglu, son ministre des Affaires étrangères, de «zéro problème avec les voisins».

C’est à partir de ces diverses facettes de l’activité, voire de l’activisme politique de la Turquie via l’AKP, qu’on a pu mettre en avant un «modèle turc» qui concilierait laïcité et appartenance au monde musulman, démocratisation politique et sociale et affirmation de puissance, le tout dans le cadre d’une ouverture internationale tous azimuts. Mais de graves difficultés s’accumulent pour menacer ces ambitions. L’illusion de pouvoir vivre sans problème avec les voisins a fait long feu. Il est vrai qu’il y avait, a priori, des sources de conflit possible avec tous les voisins, qui se réactivent à tour de rôle, sur les trois horizons vers lesquels la Turquie regardait : l’Europe, l’espace post-soviétique et le Moyen-Orient.

Pays candidat. La «faim d’Europe» s’est exprimée dès l’accord d’Ankara de 1963 qui faisait du pays un candidat potentiel au Marché commun, et même auparavant par l’entrée dans des institutions européennes plus larges, comme le Conseil de l’Europe, ou occidentales sous leadership américain, comme l’Otan. Elle a conduit la Turquie, après son entrée dans l’union douanière le 1er janvier 1996 et sa reconnaissance comme pays candidat, à entreprendre, sous les gouvernements précédents puis sous les gouvernements AKP, des réformes profondes dans tous les domaines pour se rapprocher de l’Union européenne – qui reste à la fois son premier partenaire commercial et l’espace principal de séjour des migrants turcs, premier groupe d’étrangers non communautaires. La lenteur de l’avancée vers l’Europe et la vigueur des oppositions dans divers domaines – y compris des lois contre-productives sur le génocide arménien, qui mettent en danger le mouvement engagé pour sa reconnaissance en Turquie même – font naître un découragement certain et favorisent un retour à la crispation nationaliste ou aux délires panturquistes.

Rivalités. Une «autre Europe» sur le pourtour de la mer Noire constitue avec l’Asie centrale un autre espace de référence pour les Turcs, à la fois habitat des peuples «turciques», parlant des langues plus ou moins proches, dispersés à partir du foyer originel de l’Altaï, et vaste marché englobant la Russie et l’Ukraine pour les entreprises de BTP turques. Si la poussée de fièvre antiturque après la chute du communisme en Bulgarie, qui avait fait affluer plus de 300 000 membres de la minorité turque de ce pays en 1989, n’a pas eu de lendemain, les sympathies des Turcs pour les Abkhazes refroidissent leurs relations avec la Géorgie. Les tentatives d’aggiornamento avec la république d’Arménie piétinent du fait du conflit persistant entre Bakou et Erevan à propos du Haut-Karabakh. La rivalité traditionnelle avec l’Iran chiite est exacerbée par les efforts de pénétration culturelle de ce dernier dans les républiques d’Asie centrale.

Dans une troisième direction, vers le Sud et l’Est, s’étendent les pays du Proche et Moyen-Orient avec lesquels la Turquie constitue le «bloc central» de l’aire de civilisation musulmane : pays arabes longtemps subordonnés aux Turcs dans le cadre de l’Empire ottoman et Iran rival historique, sans oublier Israël, avec lequel le gouvernement d’Ankara a longtemps été le seul de la région à entretenir des relations diplomatiques et diverses formes d’échanges.

Le Kurdistan irakien enclavé est vu comme un marché potentiel pour les entreprises de BTP et de logistique turques, mais aussi comme la base arrière de la guérilla du PKK. Après avoir tenté d’exercer sa médiation entre pouvoir et rébellion en Syrie, la Turquie accueille désormais les cadres de l’Armée syrienne libre et a riposté pour la première fois aux tirs d’obus syriens lorsqu’un de ceux-ci a tué cinq personnes dans un village turc le 3 octobre. Avec Israël, les relations se sont brutalement dégradées après l’arraisonnement, en mai 2010 au large de Gaza, du Mavi Marmara, bateau amiral d’une flottille affichant un but humanitaire.

Rebuffades. C’est paradoxalement avec la Grèce, qui fait parfois figure d’ennemi héréditaire, que les relations sont les moins mauvaises, malgré la pomme de discorde que continue à représenter la situation de Chypre. On peut d’ailleurs s’étonner que l’Union européenne ait accueilli ce dernier pays en son sein avant que les laborieux pourparlers intercommunautaires, un temps soutenus par Kofi Annan, aient pu porter leurs fruits, la situation semble être maintenant pour longtemps au point mort.

Le plus préoccupant est sans doute le va-et-vient entre ces difficultés extérieures et la vie politique intérieure, marquée par le renforcement de la pression islamiste des réseaux de confréries et la montée de l’autoritarisme avec des entraves répétées à la liberté d’expression. Peut-être ne mesure-t-on pas pleinement en Occident le risque que l’on a pris à multiplier les rebuffades vis-à-vis de la Turquie, qui mettent en difficulté les partisans d’une ouverture accrue et d’une démocratisation plus complète.

* Professeur émérite à l’Université de Reims et co-auteur, avec Stéphane de Tapia, de «la Turquie, géographie d’une puissance émergente», Armand Colin, 2012.

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