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La Turquie à la reconquête des Balkans 25 octobre 2012

Posted by Acturca in Art-Culture, History / Histoire, Istanbul, South East Europe / Europe du Sud-Est, Turkey / Turquie.
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Courrier international (France) no. 1147, jeudi 25 octobre 2012, p. 60

Ioannis N. Grigoriadis, Taraf (Istanbul)

C’est une grande première. Début septembre, la télévision grecque a entrepris de diffuser le feuilleton Muhtesem yüzyil [Le siècle magnifique]. Si, il y a à peine cinq ans, quelqu’un avait prédit qu’une série sur la vie du sultan Soliman le Magnifique allait non pas susciter de l’intérêt, mais tout simplement être diffusée en Grèce, même les partisans les plus acharnés du rapprochement gréco-turc n’y auraient pas cru. Alors que la Grèce et la Turquie se sont engagées ces dernières années dans un processus de réconciliation, les préjugés mutuels restent tenaces, comme le montrent de récents sondages. A tel point que, si les séries turques remportent un franc succès dans les Balkans et au Moyen-Orient, personne n’avait imaginé jusque-là que le téléspectateur grec pourrait lui aussi succomber à cette passion.

Entre 2004 et 2008, le succès en Grèce de Yabanci damat [Le gendre étranger, diffusé de 2004 à 2007 en Turquie] avait été considéré comme l’exception qui confirmait la règle, du fait de son sujet particulier : le feuilleton raconte ne histoire d’amour entre un Grec et une Turque. Dans un contexte où la crise faisait fondre les budgets de la production locale, les Grecs préféraient regarder les séries latino-américaines, populaires depuis longtemps.

Fin d’un tabou

Cette situation a prévalu jusqu’au jour où Macedonia TV, une chaîne de télévision privée de Salonique, a décidé de diffuser la série turque Binbir gece [Les mille et une nuits, diffusée en Turquie de 2006 à 2009]. Le succès a été tel que la chaîne nationale Antenna, basée à Athènes, a décidé d’acheter les droits pour retransmettre Binbir gece à son tour, en 2010. C’est à partir de ce moment-là que la demande pour les feuilletons turcs a véritablement explosé. Toutes les grandes chaînes de télévision privées grecques se sont mises à programmer des séries turques : Asi, Sila, Unutulmaz [Inoubliable], Ask i memnu [L’amour interdit], Gümüs [L’argent]… L’engouement est tel que, aujourd’hui, diffuser un feuilleton sur Soliman le Magnifique ne relève plus du tabou, alors même que la série, avec l’Empire ottoman pour décor, traite d’un passé commun et par définition polémique. C’est ainsi que, malgré les réactions négatives des milieux nationalistes grecs, qui assimilent ces séries à « de la propagande en faveur de la Turquie et de ses ambitions néo-ottomanistes », les feuilletons télévisés turcs sont devenus en Grèce un véritable phénomène de mode. Ils constituent même une source d’inspiration pour les humoristes, qui raillent ces familles qui, à force de regarder des feuilletons turcs, commencent à utiliser du vocabulaire turc dans leur conversation.

Au-delà du cliché

Mais comment expliquer ce succès ? Quelle implication peut-il avoir sur les relations gréco-turques ? Les tabous des Grecs sur la question turque sont-ils en train de se fissurer ? Cette évolution montre en tout cas que le processus de rapprochement fait sentir ses effets dans l’opinion grecque. La normalisation des rapports entre nos deux pays s’est déplacée au niveau de la société. Petit à petit, toute une batterie de traits culturels communs est mise en évidence. Or si ceux-ci sont indéniables, ils n’étaient pas encore assumés en tant que tels. En effet, c’est bien parce qu’il existe, au-delà de la langue et de la religion, une certaine proximité en termes de valeurs sociales et de structures familiales que le téléspectateur grec a pu se prendre d’empathie pour les héros de séries télévisées turques.

Par ailleurs, ces feuilletons turcs sont devenus en Grèce une des sources principales d’information sur la société turque. Ils ont donné l’occasion au téléspectateur grec de découvrir des aspects méconnus de la Turquie. Car, si beaucoup de Grecs prétendent bien connaître notre pays, la réalité est très différente. Certes, chaque année des centaines de milliers de touristes grecs affluent en Turquie, mais que voient-ils réellement du pays ? La grande majorité d’entre eux ne se rendent qu’à Istanbul. Et encore, ils n’en aperçoivent que la vitrine touristique. Sur un voyage qui dure en moyenne quarante-huit heures, le touriste grec visite le siège du patriarcat grec orthodoxe de Constantinople, la place Taksim et l’avenue Istiklal [un des quartiers d’Istanbul où vivaient de nombreux Grecs], la Mosquée bleue et le Grand Bazar. Ce genre de visite stéréotypée est surtout de nature à renforcer la vision orientaliste que les Grecs peuvent se faire de la Turquie. Ils ne voient pas le vrai visage de ce pays, dont le coeur ne bat plus dans le quartier de Sultanahmet, mais dans d’autres quartiers de la ville tels que Levent, Kadiköy, Besiktas ou Umraniye. Quant à la Turquie qui se trouve au-delà d’Istanbul, elle représente pour les Grecs une véritable terra incognita.

Dans ce contexte, les séries télévisées viennent entrouvrir la porte d’une Turquie inconnue des téléspectateurs grecs. Petit à petit, ceux-ci prennent conscience de la diversité et des contradictions de la société turque. Et la Turquie et sa population sortent de la case « ennemi » dans laquelle elles étaient confinées ; elles reçoivent des attributs de normalité. Bien sûr, ces séries télévisées n’ont jamais été destinées à éduquer la population pour améliorer la qualité des relations gréco-turques, mais elles portent de facto en elles cette fonction. Les feuilletons télévisés viennent remplir le vide créé par l’incapacité des Etats à combattre efficacement les préjugés nationalistes.

 

Muhtesem Yüzyil

Blockbuster

« Le siècle magnifique » est sans doute le feuilleton qui a fait le plus parler de lui hors des frontières de la Turquie. Aujourd’hui programmé au Moyen-Orient, en Asie centrale, en Europe centrale et dans les Balkans, il narre sur le mode de la fiction – et en prenant certaines libertés avec l’Histoire – la jeunesse de Soliman le Magnifique (1494-1566) et son idylle avec Roxelane, une esclave ukrainienne qui deviendra la favorite de son harem.

Diffusée depuis janvier 2011 surla chaîne turque Show TV, la série bénéficie du plus gros budget de l’histoire de la télévision nationale. Elle a aussitôt suscité une vive polémique. Certaines personnalités issues de la mouvance islamo-conservatrice et nationaliste ont jugé qu’elle donnait une image négative du sultan, le dépeignant comme un homme « qui ne pensait qu’à s’amuser ». Le RTÜK (le CSA turc) avait alors adressé une mise en garde à Show TV, sans toutefois pouvoir interdire sa diffusion.

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