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Turquie. Démocratie « illibérale » 28 février 2013

Posted by Acturca in Middle East / Moyen Orient, Turkey / Turquie.
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Courrier international (France) no. 1165, jeudi 28 février 2013, p. 16    English

Nuray Mert, Hürriyet (Istanbul)

En 1997, [le journaliste indo-américain] Fareed Zakaria a publié dans la revue Foreign Affairs un article qui a fait beaucoup de bruit, « The Rise of Illiberal Democracy » [traduit sous le titre « De la démocratie illibérale », in Le Débat, Gallimard]. Bien avant le « printemps arabe », il redoutait l’apparition de démocraties n’ayant pas de pratiques politiques libérales ni la culture du libéralisme, en particulier dans le « monde musulman ». Il écrivait que dans beaucoup de pays de ce monde, tels que la Tunisie, le Maroc, l’Egypte et certains Etats du Golfe, s’il devait y avoir des élections, les régimes qui en résulteraient seraient très certainement plus illibéraux que ceux qui étaient en place alors.

Le prétendu « printemps arabe » a confirmé ses prédictions. Mais ce n’est pas seulement le monde musulman qui menace l’avenir de la démocratie libérale. Au lendemain de la guerre froide, nous avons assisté à un autre paradoxe : la montée d’un libéralisme économique antidémocratique. Le capitalisme chinois en est le meilleur exemple, de même que les « miracles économiques » de petits pays comme Singapour et Dubaï. L’essor de la puissance économique et politique de la Russie nous a également montré que le cas d’école de la « démocratie libérale capitaliste » était quasiment caduc. L’idée que la prééminence du capitalisme dans le monde encouragerait l’apparition d’une politique et d’une culture libérales démocratiques était pure illusion. D’une part, la montée du libéralisme économique n’a rien à voir avec celle de la démocratie et d’une politique libérale, et, de l’autre, l’usage de procédures démocratiques ne garantit pas nécessairement l’application d’une politique libérale fondée sur le respect des droits et des libertés.

Au début des années 2000, la Turquie était considérée comme un test de démocratie non occidentale et présentée comme un « pays modèle ». Ce phénomène était essentiellement le fait de pays musulmans où d’anciens islamistes étaient arrivés au pouvoir par le biais d’élections et avaient réussi à passer d’une modernité laïque et autoritaire à une modernité conservatrice mais démocrate, tout en enregistrant une croissance économique prodigieuse.

Cependant, après s’être emparés de tous les pouvoirs politiques, les démocrates conservateurs turcs ont commencé à rêver d’une autorité politique et économique absolue sur la scène tant nationale qu’internationale et ont peu à peu tourné le dos à la démocratisation. Récemment, le Premier ministre turc, M. Erdogan, a causé un vif émoi en exprimant son désir d’adhérer à des alliances non occidentales comme l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) plutôt qu’à l’Union européenne. En fait, la nouvelle n’est surprenante que parce que la Turquie est un membre important d’alliances occidentales comme l’Otan. Pour le reste, M. Erdogan semble sincère quand il déclare : « Nous avons davantage de valeurs en commun avec les membres de l’OCS. »

Les valeurs politiques chères au gouvernement en place sont très proches de l’absolutisme de la Russie de Poutine et du modèle chinois qui sacrifie les droits et les libertés démocratiques sur l’autel de la croissance économique. Le problème n’est pas tant la montée de valeurs « islamiques conservatrices » que celle des valeurs de pays capitalistes autoritaires. Le conservatisme islamique est un facteur important de l’idéologie du pouvoir, mais seulement s’il contribue à réprimer les cultures démocratiques et libérales fondées sur des droits et des libertés.

En dernier ressort, la Turquie montre, plus que tout autre pays, l’intérêt d’en finir avec les grandes illusions de la théorie sociale et politique postmoderne, car c’est non seulement une économie capitaliste en devenir et une démocratie sur le déclin, mais aussi un pays musulman qui n’a pas réussi à se démocratiser. Elle va donc devenir un bon exemple du manque de pertinence de la thèse de « l’économie de marché comme libérateur économique » , d’une part, et des paradoxes de théories sociologiques dans l’air du temps telles que les « modernités non occidentales », ou la « démocratie islamique », d’autre part.

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