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Chypre, une erreur européenne 21 mars 2013

Posted by Acturca in Economy / Economie, EU / UE, Russia / Russie, South East Europe / Europe du Sud-Est.
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Le Monde (France) jeudi 21 mars 2013, p. 23

par Arnaud Leparmentier

C’est la magie des compromis perdant perdant. On a connu celui de François Hollande, qui fit fuir les fortunes de France, en menaçant de taxer à 75 % les hauts revenus et n’encaissa pas un euro, censuré par le Conseil constitutionnel. On a vécu l’accord de Deauville, scellé en octobre 2010 entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. A l’avenir, les investisseurs, qui prêtaient imprudemment aux pays du Club Med, ne seraient pas certains de retrouver leur mise. Tout cela n’était que très moral. Sauf qu’en pratique, les hedge funds ont fait fortune en pariant sur la déroute du Portugal, de l’Espagne et de l’Irlande tandis que les investisseurs de bonne foi sont partis en courant. De cette décision désastreuse, la crise de la Grèce est devenue celle de l’euro.

Enfin, en ce début d’année, les Européens ont inventé la recette chypriote : ils ont tenté, samedi 16 mars, d’imposer à cette île une taxation exceptionnelle de tous les comptes bancaires et ont essuyé en retour, dès mardi soir, un camouflet du Parlement de Nicosie. Le désastre est complet : les épargnants européens, auxquels on a juré depuis cinq ans que leur épargne était garantie jusqu’à 100 000 euros, ne croient plus en leurs dirigeants, tandis que la crise chypriote reste entière.

On finirait par regretter le bon vieux temps. On gagnait la guerre, on se faisait verser par le vaincu, coupable, forcément coupable, des « réparations », sous la menace d’une intervention armée. « L’Allemagne paiera », répétait à Clemenceau son ministre des finances, Louis-Lucien Klotz. Le « Tigre » menaça d’envahir l’Allemagne pour obtenir de la République de Weimar qu’elle approuvât, en juin 1919, le traité de Versailles. Le diktat était une réponse à un autre traité, celui de Francfort en 1871. Les Français durent fondre leurs bijoux pour verser 5 milliards de franc-or et obtenir, enfin, le départ de l’armée prussienne qui, non contente d’avoir annexé l’Alsace-Moselle, stationnait dans le nord de la France.

Aujourd’hui, plus rien ne fonctionne. Les parlementaires chypriotes n’ont pas accepté de ratifier le diktat version 2013, qui leur enjoignait de payer une dîme sur leurs comptes courants : 6,75 % jusqu’à 100 000 euros, 9,9 % au-delà. Pourtant, on les a menacés. Pas d’une nouvelle invasion par les Turcs ou les Anglais, mais d’une mise en faillite ruineuse. L’armée étrangère d’aujourd’hui, c’est l’euro. Las, les peuples perçoivent mieux le bruit des armes que les krachs financiers, qui restent abstraits jusqu’à ce que survienne la catastrophe.

De ces trois expérimentations, un enseignement décisif : rien ne sert de faire payer le vaincu, même s’il a tort. Le traité de Francfort provoqua une bulle immobilière à Berlin, gavée de l’or français, et nourrit le revanchisme français de 1914; le traité de Versailles ne permit pas d’enrichir la France, l’Allemagne exsangue étant incapable de payer, mais il contribua à l’avènement du nazisme. Quant au refus chypriote, il ouvre de nouveau la question de l’euro.

Qu’on ne se méprenne pas : nous n’avons aucune compassion pour les Chypriotes. Cette île n’aurait jamais dû entrer dans l’UE. Depuis 1974, le nord de l’île est occupé par les Turcs, représailles contestables mais explicables à un coup d’État ultranationaliste grec. Au milieu des années 1990, les Européens font une fleur à la Grèce qui a levé son veto à la création d’une union douanière avec la Turquie : ils entament des négociations d’adhésion avec Chypre, mais jamais ils ne font de la réunification de l’île un préalable. Certes, il est décidé d’organiser la réunification de l’île parallèlement à son adhésion européenne sous l’égide du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. Un référendum est organisé, mais les Chypriotes grecs répondent non à 76 % le 24 avril 2004, à l’inverse des Chypriotes turcs. Il est trop tard, l’élargissement de l’UE est célébré en grande pompe à Dublin le 1er mai suivant.

Deuxièmement, les Chypriotes n’auraient jamais dû adopter la monnaie unique. La Commission de Bruxelles fait du juridisme pour masquer sa couardise. Elle a fait entrer dans l’euro, avec l’aval des ministres des finances et de la BCE, une grande lessiveuse de capitaux russes, un paradis fiscal qui ne taxe qu’à 10 % les profits des entreprises. Regardons les chiffres : l’île compte 800 000 habitants, son PIB est de 18 milliards d’euros tandis que ses banques recèlent 70 milliards d’euros de dépôts. 20 milliards d’euros de ces dépôts sont russes et attestent d’une activité bien louche : 250 milliards d’euros vont et viennent chaque année entre Chypre et la Russie.

Ces dépôts furent investis massivement en dette grecque. Lorsqu’est venue la faillite d’Athènes, en 2011, les banques chypriotes ont essuyé, comme les autres, une perte de 70 % : près de 5 milliards d’euros, soit plus du quart du PIB de l’île. Pour éviter une hémorragie des capitaux, les banques chypriotes ont augmenté leur rémunération, qui atteignait récemment 5 %. La faillite est devenue inéluctable, et l’évidence finit par s’imposer : il faut payer, mais qui le fera ?

Il s’avère impossible de faire faire faillite à Chypre, même si elle ne représente que 0,2 % de l’économie du Vieux Continent : les Européens ont juré qu’ils ne réitéreraient pas le précédent grec, qui faillit faire sombrer l’euro. Un plan de sauvetage classique avec des prêts octroyés par l’UE et le FMI est vite exclu : l’endettement de Chypre s’envolerait au niveau insoutenable de 150 % du PIB. Les Européens n’ont pas eu non plus le courage de préempter les gisements d’hydrocarbures chypriotes ou d’augmenter l’impôt sur les sociétés, porté au niveau dérisoire – et irlandais – de 12,5 %. Ils ont finalement choisi de faire payer les déposants, y compris les Russes, pour mieux alléger la facture du contribuable chypriote. La manoeuvre est habile, mais elle ne doit pas être trop visible, car Chypre-la-mafieuse ne veut pas tuer la poule aux oeufs d’or russe.

Le président chypriote Nicos Anastasiades a donc voulu mettre à contribution ses concitoyens, y compris les plus modestes. Avant de se raviser devant la bronca politique et populaire sur l’île. Pour la première fois, la crise financière se traduit en pièces et billets confisqués et pas en jeux d’écriture. Les parlementaires chypriotes ont dit non. A leurs risques et périls.

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