Après l’évacuation du parc Gezi d’Istanbul, la victoire en trompe l’œil d’Erdogan 17 juin 2013
Posted by Acturca in Turkey / Turquie.Tags: AKP, Cengiz Aktar, manifestation, Parc Gezi, Recep Tayyip Erdogan
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Agence France Presse, Lundi 17 juin 2013
Ankara
En faisant le choix de la force pour mater les manifestants qui défiaient son autorité depuis la fin mai, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan sort vainqueur de la confrontation, mais il a pris un risque qui pourrait lui coûter cher politiquement, estiment les analystes.
Depuis samedi soir, les manifestants n’occupent plus le parc Gezi, symbole de la contestation. Et toute tentative de rassemblement est immédiatement dispersée à coups de gaz lacrymogène et de canons à eau par les centaines de policiers antiémeutes déployés sur la rive européenne d’Istanbul. La stratégie de fermeté a payé.
Mais, avec les premières grenades lacrymogènes qui ont volé dans le parc, le monde a découvert une autre facette de l’homme fort de la Turquie : un dirigeant vitupérant contre les « terroristes » et les « pillards » qui occupent la rue, fustige les médias internationaux qui « désinforment », montre du doigt les médecins qui soignent les manifestants et menace de mobiliser l’armée pour ramener l’ordre.
Les Occidentaux, Washington en tête, se sont alors fendus de déclarations réservées de coutume au président russe Vladimir Poutine et ont appelé M. Erdogan à dialoguer avec les manifestants et à cesser tout usage « excessif » de la force.
« Quelle image de la Turquie Erdogan donne-t-il à l’étranger ! », s’inquiétaient des manifestants rassemblés dans le parc Gezi.
« Le grand perdant (de la crise), c’est le Premier ministre qui défend sa survie politique », estime Cengiz Aktar, professeur à l’université stambouliote de Bahçesehir. Et « même si M. Erdogan remporte des élections, rien ne sera plus comme avant et il aura beaucoup de mal à gouverner », prédit l’universitaire.
« Un pays ne peut fonctionner sur le mode guerrier qu’emploie Erdogan », dit-il dans une allusion aux menaces proférées par le chef du gouvernement contre ceux qui soutiennent la contestation et aux centaines d’arrestations de manifestants, de médecins ou d’avocats.
Sur le long terme, après trois mandats de Premier ministre et dix ans au pouvoir, Recep Tayyip Erdogan ne peut plus se présenter en vertu des statuts de son parti. La solution ? Devenir président de la République et modifier la Constitution pour donner plus de pouvoirs au chef de l’Etat, dont les fonctions sont aujourd’hui largement honorifiques.
Image écornée
Impossible, prédit M. Aktar. Car le Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir a besoin des voix d’autres partis pour faire passer une révision constitutionnelle et rien ne dit qu’ils seront prêts à le faire.
Le Premier ministre pourrait également faire face à des défections dans son propre parti qui affaibliront sa position, juge l’expert. L’AKP regroupe en effet des courants qui vont des islamistes rigoristes aux partisans d’un islam en paix avec la laïcité.
En usant d’un ton belliqueux, M. Erdogan, qui cherche à plaire à la frange de son électorat conservatrice sur le plan religieux et revancharde après avoir vécu dans le mépris de l’élite turque occidentalisée, a pris le risque de s’aliéner une partie de sa base.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2002, Recep Tayyip Erdogan n’a pas perdu une seule élection. Au contraire, il a vu sa popularité s’accroître au fil des années, jusqu’à obtenir 50% des voix aux dernières législatives de 2011. Et à 59 ans, il peut se targuer d’une longévité politique exceptionnelle.
Puissance régionale respectée, modèle de société pour les pays du « Printemps arabe », allié des Etats-Unis : la Turquie a reconquis une partie de son prestige et de son influence.
Mais les événements des deux dernières semaines ont assombri le portrait de celui que les manifestants ont dénoncé comme étant le « nouveau sultan ».
« (Les manifestations) visaient directement sa décision, sa volonté, de détruire un parc. Son image de toute-puissance a été publiquement écornée pour la première fois en onze ans », relevait lundi l’éditorialiste Murat Yetkin dans les colonnes du quotidien de langue anglaise Hürriyet Daily News.
« Et l’image d’une Turquie démocratique et tolérante qu’il avait dessinée à l’étranger a été tout autant abîmée », a ajouté M. Yetkin.
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