Un refuge où s’affrontent deux consciences en crise 11 septembre 2013
Posted by Acturca in Art-Culture, Turkey / Turquie.Tags: film, Pelin Esmer
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L’Humanité (France) 11 septembre 2013, p 19
D. W.
La réalisatrice turque Pelin Esmer signe un deuxième long-métrage de fiction après les Collections de Mithat Bey, primé dans de nombreux festivals tout comme ses documentaires.
La Tour de guet, de Pelin Esmer. Turquie, 1h36.
C’est, au départ du parcours, un bus, et la jeune hôtesse qui s’enquiert de la destination des passagers au fil des étapes qu’elle égrène. Autant de villes et de villages, d’arrêts et d’embranchements. Un homme va débarquer à un carrefour perdu. En même temps qu’il entame sa marche au travers des forêts de résineux, le cadre de la caméra embrasse de vastes paysages. L’homme, comme lesté de solitude, se rend dans une tour d’observation d’où il va scruter la nature, posté en vigie de toute situation inédite. Depuis l’intérieur de la tour on découvre l’espace de tous côtés ainsi qu’un confort rudimentaire, les conditions d’une sorte d’exil. Nihat (Olgun Simsek) est visiblement un homme blessé qui taille sa colère au couteau dans des pièces de bois, matériau suffisamment familier pour qu’il agrémente ingénieusement son ordinaire de la confection de quelques objets utilitaires. On ne sait rien du vent qui l’a mené là, des raisons qui l’ont contraint à l’abandon de ses savoir-faire, de ce silence comme une expiation, seulement troué du «tout est normal» qu’échangent par radio les guetteurs de la région.
Normale, ou pas, la situation de l’hôtesse du bus, Seher (Nilay Erdonmez), dialoguant avec le chauffeur tandis que la route défile devant le grand pare-brise. Elle se dit étudiante mais semble tenter de s’arrimer à cet emploi nouveau, à la chambre qui lui est allouée au-dessus de la station-service et du restaurant que détient Ahmet (Menderes Samancilar), également propriétaire de l’agence de transport. Un homme autoritaire et cupide, instrument de mesure des rapports de subordination qui vont s’étoiler au long du film dans divers registres, celui de l’intime au prisme des tragédies passées et à venir.
Nihat et Seher sont deux personnages habités d’effroi, de terribles charges de culpabilité, de noirs chagrins. Film peu bavard dans lequel l’essentiel survient par la mise en scène. Les renseignements sur la vie des personnages sont le plus souvent répercutés par ouï-dire, de nombreux plans fixes restituent l’intensité de ce qui est éprouvé, le passage des saisons pose le temps en somptueux tableaux, la Tour de guet ne manque pas de rebondissements , d’une tension narrative longtemps tapie dans le brouillard comme un risque d’incendie peut nicher dans un creux de souche.
Nihat et Seher, à force d’infimes croisements dans le bar de la station-service vont se rencontrer par le biais d’un événement cruel pour la jeune fille. Lui nous était presque toujours apparu en extérieurs, grands bois sans confins visibles; elle demeurait dans le huis clos de son travail, celui de sa chambre, du petit appartement dans lequel elle va visiter ses parents qui ne peuvent la comprendre. Dans la tour de guet où Nihat offre à la jeune femme un refuge indispensable, l’affrontement de leurs consciences en crise frappera comme la foudre, débordera en déferlantes d’orages. Chacun devra accepter quelque chose de lui-même pour que s’amorce, peut-être, un apaisement.
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