«Nous sommes frustrés vis-à-vis de l’Europe» 7 octobre 2013
Posted by Acturca in Middle East / Moyen Orient, Turkey / Turquie, Turkey-EU / Turquie-UE.Tags: Egemen Bagis, Egypte, interview, Syrie
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Le Temps (Suisse) Monde, lundi 7 octobre 2013
Propos recueillis par Ram Etwareea, Bruxelles
Le ministre turc aux Affaires européennes, Egemen Bagis, défend la place de son pays au sein de l’Union européenne. «Nous sommes très patients», dit-il.
Egemen Bagis n’a pas la langue dans sa poche. Très sûr de lui, le ministre turc des Affaires européennes et chef négociateur pour l’adhésion de son pays à l’Union européenne (UE) ne cache pas son exaspération, tout en disant que la Turquie ne va pas tourner le dos à l’Europe. De passage à Bruxelles la semaine passée, où il a présenté les mesures de son gouvernement pour renforcer la démocratie, il défend la place de la Turquie au sein de l’Union. Ce proche du premier ministre Recep Tayyip Erdogan commente aussi l’actualité en Syrie, en Egypte et en Iran.
Le Temps: Quelle a été la réaction de la Commission européenne sur les mesures de démocratisation?
Egemen Bagis: Positive. Elle a compris notre engagement à poursuivre dans cette voie. Certaines des mesures annoncées constituent une réponse aux critiques faites par Bruxelles. Nous ne sommes certes pas encore arrivés au bout du chemin de la démocratisation. Pour nous, la législation européenne constitue la référence.
– Les mesures annoncées sont-elles aussi une réponse aux revendications exprimées en juin à Istanbul?
– Oui, en partie. Ce serait injuste de dire que nous avons agi uniquement à cause des manifestations. Certaines mesures annoncées par le premier ministre sont réclamées depuis des décennies. Par exemple, le droit de porter le foulard sur le lieu de travail ou le fait de renommer des villes, leurs noms ayant été modifiés de force par les pouvoirs précédents. Oui, le droit de manifester est une réponse aux rassemblements de juin.
– En vous écoutant, on a l’impression que vous êtes exaspéré par la lenteur de l’avancée des négociations pour l’adhésion de votre pays à l’UE.
– Nous sommes certainement frustrés, mais cela ne signifie pas que nous lui tournons le dos. Nous sommes plus décidés que vous ne pouvez imaginer. Nous sommes très patients. En même temps, nous n’avons aucune honte pour exprimer notre frustration. Il s’agit de négociations entre deux parties à armes égales. Nous n’avons en aucun le sentiment d’être soumis à une quelconque institution ou pays. Nous sommes une nation fière. Nous sommes la 6e puissance économique en Europe, la 16e au monde et nous avons la plus forte croissance du continent. Notre armée est la plus forte en Europe. Notre population est la plus jeune. L’Europe a autant besoin de la Turquie que celle-ci a besoin d’elle. Les Européens doivent comprendre cela et les deux parties doivent apprendre à se respecter.
– Qu’en est-il de la demande concernant l’entrée sans visa pour les ressortissants turcs en Europe?
– Cette question est sur la table depuis trente ans. En juillet, les Etats ont donné le mandat à la Commission pour commencer les réformes dans le système d’allocation de visas. Nous sommes au milieu de la préparation d’une feuille de route. Nous débuterons les négociations dès que celle-ci sera prête.
– La Turquie ne voudrait-elle pas tourner le dos à l’Europe au profit de l’Orient?
– Nous sommes le pays le plus oriental de l’Occident et le pays le plus occidental de l’Orient. Ce ne serait pas juste de choisir l’un ou l’autre. Nous n’avons pas à faire de choix. D’autant plus que nous sommes de plus en plus confiants en notre avenir. Nous ne voulons pas être un poids pour l’Europe. Bien au contraire, nous pouvons la soulager dans beaucoup de domaines.
– Comment voyez-vous l’évolution de la situation en Syrie, sachant que la Turquie était au premier plan pour une intervention militaire contre le régime d’Assad?
– Un proverbe turc dit que, quand la maison des voisins est en feu, si vous ne les aidez pas à l’éteindre, votre maison partira aussi en fumée. La Turquie essaie d’éteindre les incendies dans son voisinage. Nous voulons apporter la paix et la stabilité dans la région. Malheureusement, en Syrie, plus de 110 000 personnes ont été exécutées par leur propre gouvernement au cours des deux dernières années. Le régime sanguinaire de Bachar el-Assad a bombardé ses propres villes. Le récent accord intervenu entre les Etats-Unis et la Russie a malheureusement envoyé un message à tous les dictateurs et potentiels dictateurs qu’on peut s’en sortir même en tuant son propre peuple. Je pense que la communauté internationale doit forcer le président Assad à assumer ses actes criminels. Ce régime doit disparaître et la démocratie doit triompher.
– Vous êtes aussi très critique à l’égard de l’Egypte?
– La démocratie est une valeur suprême pour l’Europe, n’est-ce pas? En Egypte, nous assistons au viol de la démocratie et les dirigeants européens feignent de ne rien voir. Je crois qu’il est temps de forcer la junte militaire à revenir au processus démocratique, libérer les prisonniers politiques et organiser des élections libres. Si elle l’emporte, nous respecterons le verdict. Du point de vue éthique, ce n’est pas correct de la part de l’Union européenne de soutenir un régime illégitime.
– Vous vous réjouissez au moins du changement de ton en Iran?
– Nous avons noté que le président Rohani a fait d’importants gestes d’ouverture. Si l’Iran parvient à établir de meilleures relations internationales et met fin à son isolement et à l’embargo qui pèse sur lui, tout le monde sortira gagnant. Pour la Turquie, il deviendrait un important partenaire économique.
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