La Turquie ouvre le premier tunnel sous le Bosphore pour relier l’Asie et l’Europe 29 octobre 2013
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Le Monde (France) mardi 29 octobre 2013, p. SCQ4
Eco et Entreprise
Guillaume Perrier, Istanbul Correspondance
Le tronçon ferroviaire, qui devrait être inauguré mardi 29 octobre, doit soulager les transports urbains de quinze millions d’habitants.
Les dirigeants turcs ont choisi le 29 octobre, jour du 90e anniversaire de la République, pour inaugurer en grande pompe le tunnel ferroviaire sous le Bosphore, le « chantier du siècle » selon les autorités.
Après neuf ans d’attente, le Marmaray, un tunnel de 14 km dont une portion immergée de 1 400 mètres, relie les deux rives du détroit du Bosphore. Mardi, il va transporter ses premiers passagers d’Asie en Europe. Avec pour objectif de fluidifier le trafic intercontinental, sur un trajet effectué quotidiennement par plusieurs millions de Stambouliotes.
« Ce n’est pas le projet du siècle mais le rêve de plusieurs siècles qui se concrétise » , avait déclaré, en août, le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, aux commandes du train qui effectuait les premiers tests dans le tunnel.
Le Marmaray est le premier d’une série de projets pharaoniques lancés en 2004 par le Parti pour la justice et le développement (AKP) au pouvoir à Istanbul. D’un coût total de plus de 3 milliards de dollars (2,17 milliards d’euros), il a été financé en grande partie par l’Agence de coopération japonaise internationale. Un tel ouvrage sous-marin avait déjà été imaginé en 1860 par un ingénieur français, Simon Préault, qui avait remis ses plans au sultan Abdülhamit II. Mais il n’avait jamais pu être réalisé.
Avec le Marmaray, quatre minutes seront nécessaires pour passer d’Europe en Asie, en franchissant le Bosphore, et une heure trente pour traverser l’agglomération. Environ 75 000 passagers par heure pourront être transportés dans chaque sens, à raison d’un train toutes les deux minutes aux heures de pointe. De quoi réduire un peu les problèmes de transport dans une ville de quinze millions d’habitants qui frôle la saturation automobile. Un deuxième tunnel, pour les voitures, devrait être achevé en 2015.
Ce nouvel axe ferroviaire sera connecté au métro, dont le réseau s’étend progressivement sur les deux rives d’Istanbul, ainsi qu’à la ligne de train à grande vitesse en cours d’aménagement vers la capitale, Ankara, dont un tronçon est également inauguré mardi. La part du rail dans le transport urbain devrait bondir de 4 % à 28 %.
Rien n’a pourtant été simple depuis 2004, année où fut lancé le Marmaray. La nature de l’ouvrage, posé à 61 mètres de profondeur, constituait une première difficulté. Le tunnel se trouve à moins de vingt kilomètres de la faille sismique nord anatolienne, jugée hautement sensible : les scientifiques estiment possible un séisme de plus de 7 sur l’échelle de Richter dans les trente prochaines années. Les ingénieurs ont donc conçu une structure antisismique flexible, comme celle des gratte-ciel. Les travaux ont été dirigés par le groupe japonais Taisei.
Découvertes archéologiques
Le chantier, qui devait initialement être achevé en quatre ans, a pris beaucoup de retard. Dès les premiers coups de pelleteuse à Yenikapi, sur la rive européenne, où a été construite l’une des trois gares souterraines, d’importantes découvertes archéologiques ont été faites. Des dizaines de milliers d’objets enfouis dans le sol limoneux ont révélé des pans inconnus de l’histoire de la ville. Les vestiges bien conservés du port byzantin de Théodose ont été mis au jour, ainsi que les épaves de trente-cinq navires datant du Ve au XIIIe siècle, avec leurs cargaisons, ce qui a permis de reconstituer une partie des routes commerciales de l’époque.
Un village et une nécropole néolithique ont également été découverts en 2007, ce qui fait remonter l’histoire d’Istanbul à 6 500 ans avant Jésus-Christ, selon l’archéologue Mehmet Ali Polat. Toutes ces découvertes devraient être exposées dans un « archéo-parc » , envisagé par la municipalité d’Istanbul.
Les excavations ont duré plus de huit ans. De quoi agacer Recep Tayyip Erdogan, impatient de voir se concrétiser le projet. Critiquant ceux qui « défendent de la vaisselle et des poteries » , il a pressé les archéologues d’en finir. Le chantier de fouilles a fermé en avril, probablement sans avoir livré tous ses secrets.
Le premier ministre entend profiter de cette inauguration pour promouvoir sa politique urbaine, vivement critiquée lors des manifestations de la place Taksim du printemps. D’autres grands projets sont envisagés : un aéroport d’une capacité de 150 millions de passagers sur la rive européenne, ce qui en ferait le plus grand du monde, une mosquée géante pour 15 000 fidèles et un canal pour doubler le Bosphore.
Un troisième pont fortement contesté
Le futur troisième pont sur le Bosphore, dont le chantier a été inauguré fin mai, est, parmi les grands projets d’infrastructures lancés ces dernières années par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, l’un des plus contestés. Enjambant le détroit au nord d’Istanbul, ce nouvel axe devrait désengorger les deux ponts existants et détourner une grande partie du trafic de poids lourds sur un axe autoroutier Est-Ouest qui ira vers la Grèce et la Bulgarie dans un sens, vers Ankara dans l’autre.
Mais urbanistes et défenseurs de l’environnement dénoncent une absence de concertation et un désastre écologique déjà visible sur les images aériennes du chantier avec la disparition de milliers d’arbres.
L’étalement urbain vers le Nord grignotera un peu plus la forêt de Belgrade, le dernier « poumon vert » d’Istanbul, et satisfera avant tout les appétits des promoteurs immobiliers en ouvrant de nouvelles zones à la spéculation.
Le futur pont du « Sultan Selim » , long de 1 200 mètres, est aussi perçu comme une provocation par les alévis, importante minorité religieuse de Turquie, pour qui le souverain ottoman du XVIe siècle reste associé à des massacres contre leur communauté. Le lendemain de l’inauguration du chantier, les alévis s’étaient rendus en masse pour manifester sur la place Taksim, pour le premier jour des rassemblements antigouvernementaux du printemps.
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