« Derrière ces affaires, une lutte intestine au sein de l’AKP » 27 décembre 2013
Posted by Acturca in Turkey / Turquie.Tags: AKP, Fethullah Gülen, Jean Marcou, Recep Tayyip Erdogan
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Le Figaro (France) no. 21584, vendredi 27 décembre 2013, p. 6
Propos recueillis par Arielle Thedrel
« C’est une affaire d’État très sérieuse, qui risque de casser la campagne d’Erdogan pour les élections de mars et la présidentielle d’août ». Spécialiste de la Turquie, Jean Marcou enseigne à Sciences Po Grenoble.
Le Figaro.- Faut-il croire Erdogan lorsqu’il dénonce un complot ?
Jean Marcou.- La théorie du complot relève du populisme. Cependant, derrière la dénonciation de ces affaires de corruption, nous savons qu’il y a la confrérie de Fethullah Gülen, qui soutenait Recep Tayyip Erdogan au départ. Le premier ministre lui-même a parlé d’un État parallèle qui tenterait de remettre en cause sa légitimité. Depuis deux ans, des désaccords feutrés sont apparus entre lui et la confrérie. Récemment, la décision du premier ministre de fermer les dershane, ces établissements de soutien scolaire qui sont l’une des principales sources de revenus de la confrérie, a été perçue par le clan Gülen comme une déclaration de guerre. Depuis, il mène une campagne contre le gouvernement à travers notamment le journal Zaman, le plus important organe de presse en Turquie qui s’est mué en média d’opposition alors qu’il soutenait auparavant Erdogan. Derrière ces affaires de corruption, qui sont probablement réelles, il y a donc aussi une lutte intestine pour le pouvoir. Cette lutte n’oppose pas simplement Erdogan et la confrérie Gülen, mais différentes forces au sein de l’AKP, qui est un mouvement très hétérogène et donc vulnérable.
Qui est Fethullah Gülen ?
C’est un imam qui s’est installé aux États-Unis du temps où l’armée était au pouvoir à Ankara. Il y est resté et a contribué à promouvoir l’image d’un islam réformiste incarné par l’AKP. La confrérie a sans doute aussi aidé au développement des relations entre l’AKP et les autorités américaines. C’est une organisation qui s’est mondialisée. Elle a mis en place un réseau éducatif en Asie centrale, en Afrique et, bien sûr, en Turquie. Elle s’est ramifiée dans le monde des affaires et des médias. Certains hauts responsables passent pour être proches de la confrérie, comme le président Abdullah Gül, qui avait pris ses distances avec le premier ministre lors du mouvement de contestation de juin, et le vice-premier ministre Bülent Arinç avec lequel Erdogan a eu des désaccords profonds. La confrérie est aussi très influente au sein de la justice et de la police. Certains des procureurs qui ont lancé l’enquête dans l’affaire actuelle sont réputés proches de la confrérie. Zekerya Öz, par exemple, a fait ses preuves dans l’affaire Ergenekon qui a contribué à casser le pouvoir de l’armée. Erdogan s’est toujours méfié de cette organisation à cause de sa puissance. Et puis, il y a des différences d’approche politique. La confrérie reproche à Erdogan son nationalisme et déplore qu’il se démarque parfois de l’Union européenne ou des États-Unis. Lors de l’expédition du Mavi Marmara, ce bateau humanitaire turc arraisonné par les Israéliens en 2010, Erdogan avait ainsi laissé entendre que la confrérie était instrumentalisée par les Américains. Certes, il y a eu des tensions entre Washington et Ankara sur la Syrie, l’Égypte ou sur le dossier des missiles chinois achetés par la Turquie, mais les relations turco-américaines n’ont jamais été un long fleuve tranquille.
Erdogan est-il menacé ?
C’est une affaire d’État très sérieuse. Elle risque de casser sa campagne électorale pour les élections locales de mars et la présidentielle d’août, où, pour la première fois, le chef d’État sera élu au suffrage universel direct. Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact de ce scandale sur l’opinion publique et sur l’électorat de l’AKP. D’autant que nous ignorons encore l’ampleur de cette affaire à tiroirs.
C’est une affaire d’État très sérieuse, qui risque de casser la campagne d’Erdogan pour les élections de mars et la présidentielle d’août
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