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La Bulgarie ploie sous l’afflux d’immigrants 6 janvier 2014

Posted by Acturca in EU / UE, Immigration, Middle East / Moyen Orient, South East Europe / Europe du Sud-Est, Turkey / Turquie, Turkey-EU / Turquie-UE.
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Le Figaro (France) no. 21591, lundi 6 janvier 2014, p. 16
Reportage

Adrien Jaulmes, Envoyé spécial à Sofia

La frontière entre la Turquie et la Grèce étant plus hermétique, c’est la Bulgarie voisine qui est devenue la porte d’entrée en Europe pour de très nombreux migrants, notamment syriens. Peu habituée à voir des étrangers, la petite Bulgarie peine à faire face à cette pression migratoire.

Hussein Zubar et sa famille pensaient être au bout de leurs épreuves en franchissant la frontière de l’Union européenne. « Au lieu de ça, on se retrouve coincés en Bulgarie ! C’est encore plus pauvre que chez nous ! » , dit-il.

Fuyant la guerre civile, ces Kurdes syriens sont partis de leur village de la région d’Alep, abandonnant leur maison et leurs biens derrière eux. Ils se sont d’abord réfugiés en Turquie, juste de l’autre côté de la frontière. Puis, les perspectives de retour en Syrie s’amenuisant, la famille Zubar décide d’aller chercher refuge en Europe pour y reconstruire une nouvelle vie.

« À Istanbul, on nous a dit que la Bulgarie était le meilleur moyen d’entrer dans l’Union européenne depuis la fermeture de la frontière grecque » , explique Hussein Zubar. « On a payé 200 euros par personne. C’était moins cher que de prendre un bateau pour la Grèce ou l’Italie. On a marché deux jours dans la forêt. La police bulgare nous a arrêtés et nous a mis dans le camp d’Elkhovo. Là-bas, c’est comme une prison. »

Enregistrés comme demandeurs d’asile, Hussein Zubar et sa famille, femmes et enfants en bas âge, ont été transférés dans un ancien lycée technique du quartier de Vrajdebna, derrière l’aéroport de Sofia. Depuis, ils attendent que leur demande soit examinée, et leur statut de réfugiés accepté.

La peinture du bâtiment semble remonter à l’époque communiste. Dans les salles de classe transformées en dortoirs, 400 réfugiés s’entassent, généralement par familles. « On dort à deux par lit. Il n’y a pas de chauffage et pas assez de toilettes » , dit la femme d’Hussein Zubar. Du linge pend aux fenêtres du lycée. Il y a six femmes enceintes et le premier bébé doit naître dans le centre dans les prochains jours. Dans la cour de récréation, les enfants s’arrêtent de jouer au football quand une camionnette de la Croix-Rouge vient distribuer de la soupe.

« On ne veut pas rester en Bulgarie » , dit Hussein Zubar, qui découvre comme beaucoup de migrants la règle européenne selon laquelle les demandeurs d’asile restent stationnés dans le pays où ils ont été enregistrés en attendant la décision concernant leur dossier. « On n’a pas fui la guerre chez nous pour se retrouver à vivre dans ces conditions » , dit-il. « On ne savait pas que la Bulgarie était un pays aussi pauvre. Les gens sont gentils, mais nous voulons aller dans un vrai pays européen, en Allemagne, en Suède. »

Le chef du centre, Ivan Pankov, est un ancien colonel de l’armée bulgare, rappelé de sa retraite pour prendre au pied levé la direction de ce centre d’accueil improvisé. Il voit les choses de façon positive. « La Bulgarie fait face au problème des réfugiés avec ses seuls moyens. C’est vrai qu’on a été un peu pris de court. On a ouvert ce centre début octobre, depuis, on s’organise. La situation s’améliore de jour en jour. Nous allons ouvrir une salle Internet pour les réfugiés. »

La Bulgarie fait face depuis quelques mois à un phénomène complètement inédit, et ce petit pays, l’un des plus pauvres de l’Union européenne, a subitement découvert qu’il pouvait attirer des populations encore plus démunies. Les migrants économiques sont arrivés d’abord, souvent en provenance d’Afrique noire, poussés par la fermeture de la frontière grecque dans la vallée de l’Evros. Puis les réfugiés syriens ont commencé à affluer, jusqu’à atteindre cet automne une centaine de personnes par semaine. Plus de 600 000 réfugiés syriens sont enregistrés officiellement en Turquie, et la guerre civile qui continue risque de voir les chiffres augmenter encore au printemps.

« Nous avons été obligés de parer au plus pressé » , dit Daniel Indygiev, directeur des opérations de l’Agence nationale bulgare pour les réfugiés. « Mettez-vous à notre place. Nous voyons arriver des gens venus de pays dont nous n’avions jamais entendu parler. Nous avons dû utiliser des bâtiments qui n’étaient pas forcément prêts à accueillir autant de monde. Nous sommes conscients du problème. Nous avons demandé des fonds supplémentaires à l’Union européenne, nous allons améliorer la situation de ces réfugiés progressivement. »

Des solutions provisoires

En attendant, les autorités bulgares ont dû trouver des solutions provisoires pour héberger des milliers de personnes au plus froid de l’hiver. Dans la zone industrielle de Voenna Rampa, un autre lycée délabré a été reconverti en centre d’accueil. À sa tête, un autre officier à la retraite, Pepi Djourenov. « Les problèmes sont très simples et très concrets » , dit-il. « Douze toilettes pour 700 personnes, pas de chauffage, des fenêtres cassées, pas de médecins ni de médicaments. » « Nous sommes un petit pays pauvre et l’Europe nous laisse nous débrouiller avec nos propres moyens » , reproche l’ancien colonel. « Si l’Union veut offrir l’asile à ces gens, il va falloir que les pays de l’Ouest s’en occupent. »

« Les autorités bulgares n’ont aucune expérience en la matière et ne sont pas du tout préparées à faire face à un tel phénomène » , dit Boris Cheshirkov, porte-parole de la haute-commission de l’ONU chargée des réfugiés (UNHCR). « Le gouvernement avait prévu une augmentation du nombre des demandeurs d’asile cette année, mais ne l’avait pas anticipé dans de telles proportions. Résultat, des structures comme le camp d’Hermanli, près de la frontière, prévues pour accueillir 400 personnes, comptent 4 000 réfugiés, qui s’entassent aujourd’hui dans ce camp sous des tentes non chauffées, sans eau, sans sanitaire et sans électricité. Objectivement, on n’est pas encore dans une situation de crise » , assure Boris Cheshirkov. « On compte actuellement autour de 10 000 demandeurs d’asile entrés ces derniers mois en Bulgarie, ce qui reste gérable. Mais les effets sociaux et politiques sont hors de proportion. »

La Bulgarie reste pourtant singulièrement peu touchée par l’immigration, légale ou non. Les groupes d’Africains qui battent le pavé depuis l’été devant la mosquée Banya Bashi, au centre de Sofia, en pianotant sur leurs portables, étonnent encore les passants. « Ici, ils n’ont jamais vu de personnes noires » , disent ces ressortissants d’Afrique occidentale et centrale, entrés en Bulgarie avec des visas de tourisme. « On est venus voir si on trouve du travail. Après tout, c’est l’Europe ici » , explique Ali Coulibaly, un Malien. « Bon, pour l’instant, c’est pas très facile, et le Bulgare c’est une langue compliquée. »

Des réfugiés stigmatisés

Dans ce petit pays de 7 millions d’habitants, peu habitué à voir des étrangers, et qui a gardé de la longue domination ottomane une certaine méfiance vis-à-vis de l’islam, l’afflux soudain de migrants a fait l’effet d’un tremblement de terre. Début novembre, un fait divers dramatique est venu encore tendre un peu le climat politique. Une étudiante qui vendait des cigarettes dans un magasin de nuit, Victoria Hristova, a été poignardée et grièvement blessée par un demandeur d’asile algérien. L’agression a déclenché de violentes réactions. Les partis ultranationalistes bulgares, Ataka et VMRO, se sont emparés de l’affaire. Brandissant des portraits de la jeune femme, ils ont organisé une manifestation au centre de Sofia, stigmatisant les réfugiés et réclamant la fermeture des frontières.

Ataka, parti ultranationaliste qui rejette pêle-mêle le traité de Neuilly de 1919, les Roms bulgares et l’adhésion à l’Union européenne, a fait de la lutte contre les demandeurs d’asile son nouveau cheval de bataille. Oubliant sa volonté proclamée de voir la Bulgarie sortir de l’Union, une députée du mouvement a expliqué que les immigrants ne respectaient pas les « valeurs européennes » . Les manifestants d’extrême droite ont appelé à former des groupes de surveillance et à nettoyer la ville des immigrants. Des romanichels, pourtant citoyens bulgares en rien concernés par le sujet, ont été tabassés, et une banderole portant l’inscription « Mort aux réfugiés » a été déroulée dans un stade de foot.

Quelques jours après l’agression de Victoria, des inconnus ont poignardé un jeune demandeur d’asile syrien qui attendait le bus devant le centre de Voenna Rampa. La première manifestation contre la xénophobie a été organisée début novembre près de la cathédrale du Dimanche Saint, au centre de Sofia. Une petite centaine de manifestants se sont rassemblés sous les arbres derrière l’édifice, tentant d’allumer des bougies dans l’air froid. « C’est le premier rassemblement de ce type en Bulgarie » , notent Denise et Martin, deux étudiants en droit de l’université de Sofia. « Il faut dire qu’avant, on n’avait pas beaucoup d’étrangers. Mais nous pensons que c’est important d’être là. Nous voulons montrer que l’extrême droite a beau être bruyante, elle ne représente pas la majorité des Bulgares. » Des particuliers se sont aussi mobilisés pour venir en aide aux réfugiés syriens.

Les autorités bulgares redoutent à présent de voir leur pays devenir la nouvelle porte d’entrée vers l’Union européenne. Dix ans après son adhésion à l’Otan, la Bulgarie envisage aujourd’hui la reconstruction d’une barrière le long de sa frontière avec la Turquie, comme à l’époque du double barbelé qui fermait la frontière sud du bloc socialiste. Une partie est déjà équipée de caméras thermiques et de capteurs. Plus à l’est, vers la mer Noire, le massif montagneux de la Strandja continue à dresser une barrière naturelle, vallées profondes et forêts où se promènent encore des ours, difficile à franchir.

« Ces mesures ne font que reporter le problème ailleurs. Les filières d’immigration s’adaptent » , dit Boris Cheshirkov. « Quand la Grèce a renforcé sa barrière dans la vallée de l’Evros, elles se sont déplacées en Bulgarie. Et la situation en Syrie n’allant pas en s’améliorant, on risque de voir le nombre de réfugiés continuer à augmenter dans les prochains mois. C’est un phénomène devenu classique : pendant les premiers mois, les réfugiés fuyant une guerre s’installent à côté de leur pays. Puis, l’année suivante, ils décident d’aller refaire leur vie ailleurs. On est peut-être au début d’un vaste exode de Syriens vers l’Europe. »

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