François Hollande se rend en Turquie pour « sortir de l’impasse » diplomatique 28 janvier 2014
Posted by Acturca in Economy / Economie, France, Turkey / Turquie, Turkey-EU / Turquie-UE.Tags: Commerce extérieur, diplomatie, François Hollande, Recep Tayyip Erdogan, relations bilatérales
trackback
Le Monde (France) mardi 28 janvier 2014, p. 3
Guillaume Perrier et David Revault d’Allonnes, Envoyés spéciaux, Ankara
La visite du président français a notamment pour but de solder les différends des années Sarkozy.
Ankara Envoyés spéciaux – Il n’est plus aux affaires depuis près de deux ans, mais Nicolas Sarkozy continue de hanter Recep Tayyip Erdogan. Devant les présidents de groupes au Parlement européen, à Bruxelles, mardi 21 janvier, le premier ministre turc continuait d’adresser quelques piques à l’ancien président français, à ses yeux coupable d’avoir mis un frein aux négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE). Lors de sa présidence, M. Sarkozy n’avait pas accordé à la Turquie plus qu’une visite de travail de cinq heures dans la capitale, Ankara, ce qui avait été perçu comme une preuve supplémentaire du mépris de la France.
C’est donc en partie pour rattraper le temps perdu et solder les différends du quinquennat précédent que François Hollande entame, lundi 27 janvier, une visite d’Etat en Turquie. « La première depuis vingt-deux ans » , insistent ses conseillers. La dernière fois, en 1992, François Mitterrand avait inauguré à Istanbul l’université francophone Galatasaray, aujourd’hui un symbole de la coopération culturelle franco-turque. Mardi, François Hollande prononcera un discours devant les étudiants de la faculté.
Le chef de l’Etat, qui sera accompagné d’une importante délégation de ministres, dont Laurent Fabius, Jean-Yves Le Drian, Arnaud Montebourg ou Stéphane Le Foll, ambitionne de « sortir de l’impasse dans laquelle la France à l’époque avait conduit cette relation » et d’une « relation bilatérale qui s’était dégradée et révélée particulièrement inefficace » , selon l’Elysée.
La visite, pourtant, ne tombe pas au meilleur moment. D’abord parce que François Hollande, bien qu’à Ankara, subit encore l’effet de souffle de sa situation privée, mais aussi parce que cette visite coïncide avec la publication officielle, lundi, des chiffres du chômage de décembre. La politique française pourrait donc rattraper M. Hollande. La présence en Turquie de son conseiller politique Aquilino Morelle, qui ne participe aux déplacements diplomatiques que dans les moments particulièrement délicats, en est un bon indice.
Mais il est d’autres écueils qui l’attendent sur place. M. Hollande est le premier chef d’Etat d’un grand pays à se rendre en Turquie depuis la mobilisation citoyenne de la place Taksim d’Istanbul, au printemps 2013. La répression, qui avait entraîné la mort d’au moins six manifestants, avait été condamnée sans appel par les institutions européennes. A deux mois des prochaines élections municipales, test pour la popularité de M. Erdogan, « le timing est vraiment mal choisi. Cela ne peut qu’être perçu comme un soutien » à M. Erdogan, estime Cengiz Aktar, politologue à l’université Sabanci d’Istanbul.
Depuis les manifestations de Taksim, le gouvernement turc traverse une crise politique sans précédent, et c’est dans une atmosphère délétère que le président français arrive à Ankara. Des opérations judiciaires anticorruption ont poussé au moins trois ministres à la démission et le propre fils du premier ministre, Bilal Erdogan, a vu son nom cité dans une affaire. M. Erdogan dénonce une « tentative de coup d’Etat » qui serait orchestrée par la confrérie de Fethullah Gülen, un prédicateur turc influent exilé aux Etats-Unis, dont les membres ont massivement « infiltré » l’appareil d’Etat. Depuis, l’AKP, le parti du premier ministre au pouvoir depuis 2002, s’est lancé dans une vaste purge de l’administration turque. Plusieurs milliers de fonctionnaires ont été limogés.
De plus, entre la France et la Turquie, les désaccords se sont accumulés ces dernières années. En premier lieu, la « question arménienne » , à laquelle est très sensible M. Hollande, provoque des poussées de fièvre récurrentes depuis la reconnaissance du génocide de 1915 par le Parlement français en 2001. Le président français sera également poussé à clarifier sa position sur le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE. Après trois ans de statu quo dans les négociations, la France a levé, en novembre 2013, son blocage d’un chapitre consacré aux politiques régionales, « pour sortir de l’impasse » . Mais quatre autres volets, gelés par Nicolas Sarkozy, le demeurent. Ankara réclame leur déblocage et souligne le manque de clarté de la position française, hésitante sur l’issue des pourparlers.
A cinq mois d’élections européennes qui s’annoncent comme un désastre pour le PS, l’adhésion de la Turquie à l’UE est toujours un sujet délicat. Un sondage IFOP, publié jeudi, révélait que 83 % des Français se déclarent majoritairement hostiles à l’entrée du voisin turc.
M. Hollande, sur ce dossier, devrait donc se montrer d’une prudence extrême. Même si l’approche sarkozyste n’est plus de mise : l’opposition de principe aurait privé Paris « d’un levier d’influence sur l’évolution de la Turquie » , explique l’Elysée.
La relance, même timide, des négociations d’adhésion pourrait donc permettre à la France d’exprimer ses exigences en matière d’indépendance de la justice, de respect de l’Etat de droit et des droits de l’homme, elle qui s’est jusqu’ici montrée très discrète sur ces questions.
Le sort de la sociologue Pinar Selek, condamnée en 2013 à la prison à vie pour un « attentat » qui aurait été commis à Istanbul en 1998 et réfugiée politique en France, devrait notamment être évoqué au cours de la visite, estime la presse turque. Lundi 20 janvier, depuis Strasbourg où elle vit, son comité de soutien a demandé à M. Hollande qu’il « réclame vigoureusement l’acquittement définitif de Pinar Selek à l’occasion de sa visite » .
Dernier sujet potentiellement explosif : l’assassinat à Paris, il y a un an, de trois militantes proches du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), n’a toujours pas été élucidé, alors que de récentes révélations ont renforcé la piste d’un crime commandité par les services secrets turcs (MIT). Les autorités judiciaires françaises attendent des éclaircissements de la part de la Turquie. Mais, sur l’ensemble de ces dossiers, le président arrive à Ankara avec l’ambition « non pas de juger mais d’encourager, de porter un message » , indique son entourage.
Paris veut renforcer ses relations commerciales avec Ankara
Guillaume Perrier, Istanbul
Istanbul Correspondance – Après une décennie marquée par une forte croissance du marché turc, mais aussi par les hésitations des entreprises françaises à y investir, la visite d’Etat du président de la République, François Hollande, en Turquie, lundi 27 janvier, donne l’occasion de renforcer les relations commerciales entre Paris et Ankara.
Le contexte politique, depuis les révélations d’un scandale de corruption impliquant l’entourage direct du premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, et l’essoufflement de l’économie rendent toutefois le marché turc un peu moins attractif aujourd’hui.
La venue de M. Hollande intervient après des années de recul de la présence hexagonale. La part de marché des entreprises françaises est passée de 6 % à 3 % depuis 2002. Les échanges bilatéraux stagnent autour de 12,5 milliards d’euros. La France n’est que le huitième fournisseur de la Turquie et le septième contributeur pour les investissements directs étrangers (IDE). « Depuis dix ans, la France n’a quasiment obtenu aucun grand contrat d’Etat et a été écartée pour des raisons essentiellement politiques » , analyse un homme d’affaires installé à Istanbul.
Mais « de nouvelles perspectives s’ouvrent » , estime Paris. La Turquie est citée comme l’une des priorités de la diplomatie économique française. Le potentiel de la dix-septième économie mondiale en termes de produit intérieur brut suscite l’intérêt de grands groupes.
Le programme d’infrastructures et de transports, notamment le ferroviaire, dans lequel Ankara prévoit d’investir 30 milliards d’euros dans les cinq prochaines années, la santé, l’énergie et l’environnement sont observés avec attention. A Istanbul, M. Hollande participera à un forum axé sur les transports et l’énergie, secteurs qui feront l’objet d’accords de coopération entre les deux pays.
Mais c’est par le biais du nucléaire que la France a entrepris sa reconquête. Si la première centrale, confiée aux Russes, a échappé à Areva, la deuxième, qui doit être mise en service à Sinop, sur la mer Noire, a été attribuée, en mai 2013, au consortium franco-japonais Mitsubishi-Areva. GDF Suez devrait aussi être impliqué en tant qu’opérateur. Ce choix confirme les bonnes dispositions d’Ankara.
Paris veut poursuivre cette « normalisation » . GDF-Suez est également intéressé par un projet de centrale à charbon à Yumurtalik, sur la côte méditerranéenne.
Mais la crise politique et monétaire que traverse la Turquie n’est guère propice aux investissements. « Les préoccupations du moment sont la dévaluation et le possible statu quo sur les décisions concernant les grandes infrastructures » , observe Nolwenn Allano, directeur régional du courtier en assurances Gras Savoye.
La livre turque a atteint, vendredi 24 janvier, un plus bas historique par rapport au dollar et à l’euro, à 2,32 livres. « La Turquie est en plein réajustement. C’est une économie dont le modèle est à repenser » , ajoute M. Allano, selon qui, « l’avenir des sociétés françaises en Turquie passe par des partenariats dans des pays tiers » .
Commentaires»
No comments yet — be the first.