jump to navigation

La Turquie embarquée dans la dérive d’Erdogan 24 février 2014

Posted by Acturca in Turkey / Turquie, Turkey-EU / Turquie-UE.
trackback

Les Echos (France) no. 21633, lundi 24 février 2014, p. 9
Idées & Débats ~ L’analyse de la rédaction

par Jacques Hubert-Rodier, Editorialiste aux « Echos

La Turquie, star des pays émergents, source d’inspiration pour les révolutions arabes de 2011, capable de renvoyer dans ses casernes une armée prête à se mêler de politique, est-elle en train de faire marche arrière ? L’Union européenne, qui a rouvert à la fin 2013 des chapitres de négociations sur une adhésion après un gel de plus de trois ans, doute de la capacité de ce pays à maintenir le cap de ses réformes. Le rêve de la Turquie de passer de la 17e place mondiale pour la taille de son économie à la 10e d’ici à 2023, semble de moins en moins possible. « Ce qui a été réalisé au cours des dix dernières années, que ce soit sur l’armée, la réforme judiciaire, l’intégration de près de 15 millions de ruraux dans la classe moyenne urbaine, est impressionnant », souligne un responsable européen. Sans oublier, affirme-t-on à la Banque mondiale, la création de 4 millions d’emplois de 2009 à 2013, alors que l’UE en détruisait 3 millions. Mais depuis quelques mois, ajoute le responsable européen, les réformes dérapent. La visite du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, à Bruxelles, le 21 janvier dernier, la première depuis trois ans, avait pour objectif de donner un coup d’accélérateur au processus de négociations. Peine perdue.

L’économie turque en dépit de performances impressionnantes depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP, reste fragile et dépendante des capitaux à court terme. Ce qui en fait l’économie la plus vulnérable des émergents.

Sans évoquer une suspension des négociations, Bruxelles pense, ajoute-t-on de sources européennes à Ankara, que la Turquie s’éloigne « des critères de Copenhague » qui exigent des pays candidats « d’avoir des institutions stables garantissant la démocratie, l’Etat de droit, les droits de l’Homme et le respect et la protection des minorités ». Depuis le 17 décembre dernier, il est vrai, le gouvernement d’Erdogan est secoué par un scandale de corruption qui concerne directement sa famille, notamment son fils, des ministres et des hommes d’affaires proches de l’AKP, le parti islamiste au pouvoir depuis 2002. Erdogan a surréagi, dénonçant un complot après l’arrestation notamment de plusieurs fils de ministre, voire de la convocation au tribunal de son propre fils. Une attitude, selon un haut responsable turc, qui donne l’impression qu’Erdogan « se bat pour sa survie politique ». Plusieurs centaines de policiers ont été démis de leurs fonctions, puis des juges et des procureurs. Le coupable de ce complot pour Erdogan n’est autre que son ancien allié, un imam, Fethullah Gülen, exilé aux Etats-Unis depuis 1999.

Lors d’un entretien avec des journalistes européens à Ankara, Ali Babacan, le vice-Premier ministre, affirme que déjà depuis plusieurs années le gouvernement « suspectait » le mouvement Gülen d’avoir placé dans la haute administration des proches. Selon lui, le mouvement gère environ le quart des maternelles en Turquie, des écoles dans 130 pays et réunit plus de 30.000 hommes d’affaires. Face à ce prétendu complot, le gouvernement a adopté, coup sur coup, une nouvelle réforme de la justice pour accroître son emprise encore sur les magistrats, puis une loi limitant l’accès à Internet soi-disant pour protéger la vie privée des citoyens et les enfants.

Cette théorie du complot n’est pas nouvelle en Turquie. Mais le scandale qui éclabousse l’AKP est d’autant plus grave que le parti d’Erdogan se présente justement comme le parti de la pureté, anticorruption, anti-establishment et qu’il intervient quelques mois après les manifestations contre le pouvoir déclenchées à la fin mai dernier par un projet, finalement abandonné, de construire un centre commercial sur le parc Gezi à Istanbul. « Ces turbulences politiques, affirme ainsi Selin Sayek Böke, professeur à l’université Bilkent à Ankara, affectent la situation économique. » « L’environnement politique est moins prévisible. Ce qui pourrait peser sur la résilience économique et le potentiel de croissance à long terme », avait d’ailleurs noté l’agence S&P en plaçant au début février la notation turque (BB+) avec une perspective « négative ». Car la Turquie, en dépit d’un taux de croissance supérieur aux pays européens – 3,5 % environ prévus par la Banque mondiale pour 2014 – a des sérieux points faibles. « La Turquie paye aujourd’hui pour ses péchés des cinq dernières années », affirme l’universitaire turque. Elle doit financer par le recours de capitaux à court terme le déficit de ses comptes courants, qui atteint près de 8 % de son PIB, soit une situation pire que celle de l’Ukraine et de l’Afrique du Sud. Ce déficit devrait se réduire cette année, en raison de la dépréciation de la livre turque et d’une réduction des importations, notamment d’or d’Iran, voire de la reprise dans la zone euro, comme l’explique le ministre des Finances, Mehmet Simsek.

Mais est-ce suffisant ? Car la Turquie souffre d’un faible niveau, à la fois des investissements directs étrangers (IDE) et d’épargne privée, et d’un surendettement des ménages et des entreprises. Le risque est de voir la fuite des capitaux à court terme s’accélérer. Le ministre des Finances, un ancien économiste de Merrill Lynch, reconnaît que, depuis le resserrement monétaire américain, la période de liquidités en excès et de faible taux d’intérêt « arrive à sa fin ». La violente hausse des taux d’intérêt décidée, contre l’avis du gouvernement Erdogan, par la banque centrale, a certes permis d’enrayer le décrochage brutal de la livre. Mais pour combien de temps ? La Turquie n’est pas « l’homme malade de l’Europe », comme l’Empire ottoman au XIXe siècle, mais elle est « le plus vulnérable des pays émergents ». Et cela en dépit d’atouts considérables comme la jeunesse de sa population. Erdogan qui se voit le prochain président lors des premières élections présidentielles d’août au suffrage direct, aurait pu s’inscrire dans l’histoire comme un réformateur, mais il risque de finir en autocrate corrompu. A l’approche des élections municipales du 30 mars prochain, il jouit encore, selon les sondages, d’un taux d’approbation de près de 40 %. Pourquoi arrêter les réformes ?

 

Les points à retenir

L’Union européenne doute désormais de la capacité de la Turquie à poursuivre ses réformes.

En dépit de résultats impressionnants au cours des dernières années, l’économie turque est devenue la plus vulnérable des pays émergents.

Le scandale de corruption qui touche des proches du Premier ministre turc a eu des effets sur les marchés financiers et la livre turque.

 

Commentaires»

No comments yet — be the first.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :