Erdogan bloque Twitter, les Turcs scandalisés par la #censure 22 mars 2014
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Libération (France) samedi 22 mars 2014, p. 16
Par Ragip Duran, Correspondant à Istanbul
Affaibli par des révélations de corruption, le Premier ministre a interdit un temps le réseau social. Une erreur fatale ?
Le très autoritaire Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, l’avait promis jeudi soir dans un meeting électoral. «Nous allons éradiquer Twitter. La liberté n’autorise pas l’intrusion dans la vie privée de qui que ce soit ou l’espionnage des secrets d’Etat. Peu importe les réactions à l’étranger. Vous allez voir la force de la Turquie !» martèle le leader charismatique de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir depuis novembre 2002, dans la dernière ligne droite de sa campagne avant les municipales du 30 mars. Ce scrutin est un test politique majeur pour un parti secoué depuis décembre par des scandales de corruption éclaboussant Erdogan lui-même. Quelques heures plus tard, l’accès à Twitter était bloqué.
«Ce site internet, dont le siège se trouve à l’étranger, ne respecte pas les décisions des tribunaux turcs, qui avaient demandé l’effacement de certains messages violant les droits individuels et la vie privée de plaignants», expliquait l’Autorité des télécoms turques (TIB). Depuis des semaines, un compte sur Twitter intitulé ironiquement «Haramzade» («les enrichis contre les règles de la religion») diffuse des enregistrements de conversations téléphoniques entre le Premier ministre, son fils, des hommes d’affaires et des hauts fonctionnaires illustrant la corruption et l’arrogance du leader du parti au pouvoir. Même si la TIB ne précise pas les noms des plaignants, chacun a compris de qui il s’agit. Dans les manifestations de l’opposition, notamment du CHP (parti républicain du peuple, social-démocrate) qui espère bien conquérir les municipalités d’Istanbul et d’Ankara gérées depuis vingt-cinq ans par les islamistes, le Premier ministre est surnommé «le Premier des voleurs».
Pots-de-vin.Enregistrées le 17 décembre, le jour même d’un vaste coup de filet qui a conduit à l’arrestation de quatre fils de ministres, de hauts fonctionnaires, d’hommes d’affaires, ces conversations mises en ligne fin février font entendre le Premier ministre demandant à son fils Bilal de faire disparaître de chez lui des millions de dollars, d’euros et de livres turques en espèces. Dans d’autres, Erdogan donne des directives pour des opérations illégales sur des terrains à bâtir et le montant des pots-de-vin. Certaines témoignent de l’intervention directe du Premier ministre dans les nominations des hauts magistrats, de présidents d’université ou d’un grand club de football. Les citoyens turcs ont également pu écouter le Premier ministre imposant à des directeurs de journaux la censure de certaines informations et le licenciement de journalistes.
Erdogan a nié l’authenticité de certaines bandes-son mais reconnu la réalité de nombreuses autres. Il contre-attaque en accusant la confrérie islamiste de Fethullah Gülen, imam septuagénaire réfugié depuis 1999 aux Etats-Unis, de tenter «un coup d’Etat». Fortement implantée dans la justice et la police, cette organisation occulte avait été longtemps l’alliée de l’AKP. Plusieurs milliers de cadres de la police ont été déplacés et le pouvoir judiciaire repris en main. C’est sur ce fond de guerre implacable qu’il faut comprendre ce geste d’un Premier ministre affaibli qui, notamment depuis les grandes manifestations de l’opposition du printemps dernier, veut mettre Internet et les réseaux sociaux sous contrôle. Une loi dénoncée comme liberticide par Bruxelles comme par les ONG avait été adoptée en février. Il vient de franchir un nouveau pas dans sa guerre contre les internautes.
«Irrationnel».«Cet acte de force critiqué de toutes parts risque d’être contre-productif pour le Premier ministre, mais il s’agit du geste irrationnel d’un patriarche autoritaire qui ne supporte pas qu’on le défie et le moque», analyse Ahmet Insel, universitaire et directeur de la prestigieuse revue Birikim. Les critiques sont en effet unanimes, et dénoncent une «censure», alors que quelque 12 millions de Turcs sont abonnés à ce site de microblogging. Le président de la République lui-même, Abdullah Gül, membre de l’AKP mais passant pour plus modéré que le Premier ministre, a, sur son compte Twitter, condamné cette décision : «On ne peut pas approuver le blocage total des réseaux sociaux, […] j’espère que cette situation ne durera pas longtemps.» Ali Babacan, ministre de l’Economie, a prévu, toujours via Twitter, que «l’interdiction ne durerait pas très longtemps».
L’opposition se déchaîne. Metin Feyzioglu, président de l’Union des barreaux de Turquie (TTB), a déclaré l’interdiction «illégale» et a déposé plainte, demandant la levée de l’interdiction et l’ouverture d’une information contre les responsables «qui ont commis un crime contre la liberté». «C’est une violation incroyable des droits», s’indigne le député du CHP Aykan Erdemir, soulignant que «Twitter n’a même pas été interdit en Syrie alors que le pays est en guerre depuis trois ans». Dès vendredi à l’aube, radios, télés et sites web expliquaient les moyens techniquement faciles de contourner l’interdiction. Et le trafic sur le compte de microblogging explosait avec plus de 9 millions de connexions dans la matinée, contre 6 millions en un vendredi matin normal. La colère se mêlait à l’humour. «Erdogan essaie de cacher un très grand crime, c’est pourquoi il risque tout», clamait un message. Le scrutin municipal du 30 mars se transforme de plus en plus en un référendum pour ou contre Erdogan, qui y joue son va-tout.
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