Turquie : les coups de menton de M. Erdogan 7 avril 2014
Posted by Acturca in Turkey / Turquie.Tags: AKP, Fethullah Gülen, Recep Tayyip Erdogan
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Le Monde (France) A la Une, lundi 7 avril 2014, p. 1
Éditorial
La vengeance plutôt que la main tendue, l’intolérance plutôt que le compromis avec l’adversaire. Vainqueur des récentes élections municipales, le premier ministre turc, Tayyip Recep Erdogan, n’a pas tardé à confirmer un tournant autoritaire de plus en plus inquiétant. C’est une mauvaise nouvelle pour la Turquie.
A peine quatre jours après le succès de son parti – la formation islamo-conservatrice AKP -, au scrutin de dimanche 30 mars, M. Erdogan a contesté, jeudi 3 avril, la levée du blocage de Twitter ordonnée par la Cour constitutionnelle turque. « Nous nous y sommes conformés, mais je nerespecte pas ce jugement » , a-t-il lancé, furieux que la Cour ait osé juger illégale l’interdiction de Twitter, qu’il avait décrétée il y a dix jours.
Toute la « philosophie » politique du premier ministre est résumée dans cette attaque publique contre la plus haute instance judiciaire du pays.
L’élection municipale gagnée, qui était aussi un test de popularité pour M. Erdogan, celui-ci reprend sa lutte contre les magistrats, contre la presse, contre les réseaux sociaux (Twitter et YouTube), bref contre tous ceux qui ne se soumettent pas. Pour lui, la démocratie se résume aux élections, elle n’est pas l’instauration d’un Etat de droit, organisé autour de contre-pouvoirs destinés à équilibrer le pouvoir de l’exécutif.
Le discours postélectoral du premier ministre n’est pas de nature à apaiser le climat de polarisation politique que connaît le pays. L’Etat turc est le théâtre d’une bataille fratricide, notamment dans la justice et dans la police. Elle oppose, d’un côté, le camp de M. Erdogan, et, de l’autre, celui de l’un de ses anciens associés de la mouvance islamique, la confrérie de l’imam Fethullah Gülen.
Le chef du gouvernement promet de poursuivre ses adversaires et de les réduire à néant. Il a prouvé ces derniers mois qu’il n’hésitait pas à chasser de leur poste des milliers de policiers et de magistrats soupçonnés d’avoir des sympathies pour l’imam Gülen.
M. Erdogan entend rester au pouvoir. A la tête du gouvernement depuis onze ans, il peut décider de se présenter à l’élection présidentielle de l’an prochain – après, si possible, avoir changé la Constitution pour faire du chef de l’Etat le chef de l’exécutif, ce qu’il n’est pas actuellement.
Il peut aussi choisir de solliciter un quatrième mandat de premier ministre en 2015 – après avoir, cette fois, obtenu une modification des règles internes à l’AKP qui lui interdisent d’aller au-delà de trois mandats.
Il aurait tort de s’imaginer plus fort que jamais. L’AKP a obtenu le 30 mars 45 % des suffrages, moins qu’au dernier scrutin législatif, moins que lors des deux derniers référendums constitutionnels. Divisée, l’opposition laïque a empoché, au total, 51 % des voix.
Mais, plus important peut-être, M. Erdogan s’est définitivement aliéné, depuis deux ans, une partie des élites urbaines et de la jeunesse, toujours mobilisée. Cultivant une rhétorique de combat, il s’appuie plus que jamais sur une classe moyenne conservatrice, qu’il appelle volontiers « ma nation » .
Est-ce une base suffisante pour préparer le pays à l’avenir : redynamiser une économie qui a montré des signes de fragilité; participer à la stabilisation d’un environnement régional tourmenté; enfin, négocier la paix avec les Kurdes de Turquie? Rien n’est moins sûr. Hélas.
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