Cannes 2014: la Palme d’or à « Winter Sleep » du Turc Nuri Bilge Ceylan 24 mai 2014
Posted by Acturca in Art-Culture, France, Turkey / Turquie.Tags: Cinéma, Festival de Cannes, film, Nuri Bilge Ceylan, Palme d'or
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Agence France Presse (AFP)
24 mai 2014
La Palme d’or du festival de Cannes a été attribuée samedi à « Winter Sleep » du réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan, longue dissection psychologique d’un sexagénaire qui règne en maître sur un village d’Anatolie.
« Cette année, c’est la centième année du cinéma turc, c’est une très belle coincidence », a dit le réalisateur.
Winter Sleep, un huis clos psychologique en Anatolie
Jean-Louis Pany
Dans un village perdu d’Anatolie centrale isolé par l’hiver, les passions couvent dans un petit hôtel où le riche Aydin règne en maître : c’est le décor planté par le Turc Nuri Bilge Ceylan dans « Winter Sleep », un huis clos psychologique de plus de trois heures qui a obtenu samedi la Palme d’or à Cannes.
« L’intérêt de ce film, c’est son honnêteté brute, sans pitié. Si j’avais les tripes pour être aussi honnête que ce réalisateur, je serais fière de moi », a lancé la présidente du jury Jane Campion.
« Ca m’a fait peur quand j’ai vu la durée du film. Plus de trois heures. Je me suis assise et ce film avait un rythme tellement merveilleux que j’ai été prise. C’est un film vraiment maîtrisé avec beaucoup de sophistication. C’est pour cela que ce film a reçu la Palme d’or ».
Pour « Winter Sleep » (sommeil d’hiver) Ceylan installe sa caméra dans un petit village de Cappadoce dont les habitations troglodytes attirent les touristes l’été.
Mais les beaux jours sont partis et l’hôtel de Aydin, ancien acteur ayant atteint la soixantaine, est quasi-désert, le laissant seul face à sa jeune femme et sa soeur divorcée.
Le film est dominé par Aydin, interprété par Haluk Bilginer, l’un des grands acteurs turcs, connu aussi des Britanniques pour avoir tourné dans le feuilleton culte Eastenders.
Dans ce village, Aydin se voit comme un riche intellectuel éclairé, sorte de seigneur local bienveillant.
En 3h16, Ceylan va minutieusement démonter cette image auto-satisfaite.
Tour à tour, la femme et la fille de Aydin vont lui asséner ses vérités, de longues discussions filmées dans des intérieurs douillets, faiblement éclairés par quelques lampes, tandis que la neige commence à tomber.
« Grâce à toi, ma vie est totalement vide. Je vis à tes crochets au prix de ma liberté, » lui dit sa jeune femme tandis que sa soeur démolit avec ardeur ses prétentions littéraires exprimées dans le journal local, « La voix de la steppe ».
Connu pour ses images de paysages grandioses, Ceylan intercale les scènes intimes de grandes échappées dans la steppe où cavalent encore des chevaux sauvages.
« J’ai utilisé des dialogues très littéraires. Dans le cinéma, cela peut être risqué. J’ai essayé de voir si cela pouvait marcher », avait expliqué après la projection le réalisateur, disant avoir puisé son inspiration dans trois nouvelles du romancier russe Anton Tchekhov (1860-1904).
« Quand j’ai reçu le script, j’ai pris peur. C’était l’annuaire de New York ! », a plaisanté Haluk Bilginer, qui a dû apprendre « des pages et des pages de dialogue » puisqu’il arrivait à Ceylan de tourner 20 minutes d’affilée.
Au total, il s’est retrouvé avant le montage avec 200 heures à visionner!
Ceylan a écrit le scénario avec sa femme Ebru. « L’écriture était très intense, nous avons souvent eu de sévères disputes. Mais on travaille très bien ensemble parce que je crois que nous voyons la vie de la même manière », a-t-elle dit.
Durant le festival, Ceylan a refusé de s’exprimer clairement sur les difficultés que traverse la Turquie, alors qu’une catastrophe minière a relancé la colère contre le régime islamo-conservateur d’Ankara.
« Je ne pense pas qu’un réalisateur doive faire allusion à l’actualité de son pays » dans un film. « Si je veux le faire (…), je le ferai dans trois ans, », avait-il dit.
En recevant sa Palme samedi, il l’a quand même dédiée « à la jeunesse turque, à celles et ceux qui ont perdu la vie pendant l’année qui s’est écoulée », alors que son pays connaît depuis un an de violentes manifestations anti-gouvernementales.
Nuri Bilge Ceylan, le Bergman du Bosphore
Avec la Palme d’or, Nuri Bilge Ceylan scelle son histoire d’amour avec Cannes qui avait déjà récompensé trois fois le réalisateur turc de 55 ans, spécialiste d’un cinéma au rythme lent, rempli de silences, mais illuminé par de splendides images de paysages.
L’un des cinéastes les plus connus de sa Turquie natale, Ceylan privilégie les oeuvres intimistes, examinant à la loupe les relations de la famille ou du couple, au point qu’on le compare souvent au Suédois Ingmar Bergman, ce que n’ont pas manqué de faire encore une fois les critiques à Cannes pour « Winter Sleep » (sommeil d’hiver).
La Croisette en tout cas raffole de ses oeuvres et lui a déjà décerné à deux reprises son Grand prix, en 2003 pour « Uzac » et en 2011 pour « Il était une fois en Anatolie ». En 2008, il obtenait le Prix de la mise en scène pour « Les trois singes » et l’année suivante, il était membre d’un jury présidé par Isabelle Huppert.
Diplômé en ingénierie électrique, il a suivi également des études de cinéma et il est souvent aussi monteur et chef opérateur de ses films.
Amoureux du théâtre, il fait souvent référence au dramaturge norvégien Ibsen 1828-1906) et à Anton Tchekhov (1860-1904).
C’est d’ailleurs en s’inspirant de trois nouvelles du romancier russe qu’il a écrit « Winter sleep », avec sa femme, l’actrice Ebru Ceylan.
Ceylan, qui est aussi acteur, a tourné avec elle en 2006, devant et derrière la caméra, le film « Les Climats », une exploration de la vie intérieure d’un couple d’Istanbul.
Vu ses inspirations, « Winter Sleep » s’affiche clairement comme un film très littéraire, où la révélation des caractères s’effectue lentement grâce à de longues conversations. Des dialogues acérés nourris par l’antagonisme des personnages.
A ceux qui lui reprochent la longueur du film (3h16), il a expliqué samedi soir avoir écrit le scénario « sans penser à l’aspect commercial. J’ai écrit comme on écrit un roman, sans me préoccuper de la longueur. Au départ, il durait 4H30″…
Dans « Winter Sleep », Ceylan dissèque les relations complexes qu’un ancien acteur aujourd’hui aubergiste, entretient avec ses proches: sa jeune femme, sa soeur… Le pouvoir de l’argent, les relations quasi-féodales nouées par le héros (Haluk Bilginer) avec ses proches sont mises à jour.
Il dit avoir voulu montrer « l’aspect sombre de l’être humain, essayer de comprendre le côté sombre de mon âme, c’est-à-dire la nature humaine aussi ».
« Nous avons tourné le film en 14 semaines. C’est plutôt long étant donné les circonstances en Turquie. C’est pourquoi il est devenu mon film le plus cher même si l’équipe n’était pas aussi nombreuse derrière la caméra que pour +Il était une fois en Anatolie+ », a-t-il expliqué cette semaine au quotidien turc Milliyet.
Durant le festival, Ceylan, barbe grise et lunettes à grosse monture noire, avait expliqué qu’il ne souhaitait pas faire de films politiques.
Lors de la cérémonie samedi soir, il a cependant dédié sa palme à « la jeunesse turque, à celles et ceux qui ont perdu la vie pendant l’année qui s’est écoulée », alors que son pays connaît depuis un an de violentes manifestations anti-gouvernementales.
« Nous avons eu une année difficile. Ces jeunes personnes nous ont beaucoup appris et certains ont perdu la vie pour une avenir meilleur », a-t-il expliqué ensuite à la presse.
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