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Une Palme d’or méritée et de grands oubliés 26 mai 2014

Posted by Acturca in Art-Culture, France, Turkey / Turquie.
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La Croix (France) no. 39893, lundi 26 mai 2014, p. 20
Culture ~ Festival de Cannes 2014

Arnaud Schwartz

Même si la Palme d’or attribuée samedi soir au Turc Nuri Bilge Ceylan ne souffre aucune contestation, les jurés réunis sous l’autorité de Jane Campion ont livré un palmarès très discutable, peu en rapport avec les vraies lignes de force de cette 67e édition du Festival de Cannes.

Il y eut de grands films dévoilés au cours du dernier Festival de Cannes, qui s’est terminé avec la projection de Pour une poignée de dollars, de Sergio Leone (1964), en version restaurée, après une cérémonie de remise de prix anticipée d’un jour en raison des élections européennes. La révélation du palmarès, samedi en début de soirée, par la présidente du jury, Jane Campion, était le moment le plus attendu d’une compétition dominée par quelques œuvres époustouflantes, qui laissaient présager d’un résultat final aussi ouvert que passionnant.

Très apprécié des spectateurs en dépit de sa longueur (3 h 16), projeté au troisième jour du festival mais resté dans les mémoires, Winter Sleep, du cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan, 55 ans, a obtenu une Palme d’or que d’aucuns lui prédisaient. Et que personne ne songerait à lui contester. Habitué du Festival de Cannes où il avait déjà été récompensé à plusieurs reprises (pour Les Climats, Uzac, Les Trois Singes, Il était une fois en Anatolie…), ce scrutateur sans complaisance de la condition humaine, formaliste au talent éblouissant, aura fait toute la course en tête – ou peu s’en faut (lire La Croix du 19 mai). Avec beaucoup d’humilité, il a relevé une heureuse coïncidence – le cinéma turc fête cette année ses 100 ans d’existence – et évoqué la situation politique de son pays en dédiant son prix « à la jeunesse turque, à tous ceux qui ont perdu la vie au cours de l’année écoulée ».

Pour le reste, les choix opérés par le jury semblent relever de mauvais compromis ou de calculs malheureux, porteurs d’injustices flagrantes et d’attributions hasardeuses. Ainsi en est-il du prix du scénario décerné au cinéaste russe Andreï Zviaguintsev et à son coscénariste Oleg Negin pour Leviathan, sorte de lot de consolation quelque peu humiliant. Non que ce prix soit sans valeur, mais ne retenir de Leviathan que son scénario revient à nier la puissance et la beauté de cette oeuvre majeure qui, aux derniers jours du festival, a frappé de plein fouet les spectateurs. Portrait féroce d’une Russie corrompue, réflexion métaphysique sur le combat de l’homme face à un État qui l’oppresse, construction implacable aux images sublimes, le film d’Andreï Zviaguintsev aurait fait aussi une très belle Palme et méritait au moins un grand prix du jury. Lequel est allé au film italien Les Merveilles, d’Alice Rohrwacher, qui a laissé indifférent une grande partie de la critique. Autre exemple avec le prix du jury remis ex aequo à Jean-Luc Godard, auteur d’une pitrerie hermétique et désinvolte, et au jeune Québécois Xavier Dolan, dont le Mommy virtuose, malin, échevelé, a embrasé la Croisette et pouvait espérer mieux. S’il fallait absolument primer Godard – qui ne l’avait jamais été à Cannes -, autant lui remettre un prix spécial, mais ce « demi-prix », comme aurait dit Francis Ford Coppola, attribué au vétéran de 83 ans et au cadet de 25 ans tenait d’une transmission au symbolisme aussi appuyé que vide de sens.

On pourrait continuer, s’interroger sur les prix d’interprétation… Notons encore deux grands oublis de ce palmarès décidément peu déchiffrable. Ni les frères Dardenne – certes déjà auréolés de la Palme d’or à deux reprises – ni leur actrice principale, Marion Cotillard, ne méritaient ainsi un tel mépris, alors que leur admirable film, Deux jours, une nuit, combat d’une ouvrière pour retrouver son emploi, abordait avec dépouillement et dignité une douloureuse question dans nos sociétés en crise.

Que dire du très beau long métrage d’Abderrhamane Sissako, Timbuktu, évoquant l’extrémisme religieux qui se répand en Afrique sahélienne et en particulier au Mali? Oubliée du palmarès, cette œuvre essentielle a heureusement été sauvée par les membres du jury œcuménique, qui n’ont pas manqué de souligner sa grande beauté, sa retenue, sa capacité « à éclairer l’humanité qui demeure en chaque homme » tout en « critiquant l’intolérance ». Au final, ce palmarès laisse à beaucoup un goût d’inachevé – si ce n’est d’amertume -, comme si le jury avait raté l’occasion de décerner les bons prix aux bonnes personnes. À ce compte-là, Nuri Bilge Ceylan fait figure de rescapé.

 

Réactions à la Palme d’or en Turquie

Le quotidien turc Hürriyet saluait hier le couronnement de Nuri Bilge Ceylan, qui a dédié son prix à « la jeunesse turque, et à ceux d’entre eux qui sont morts au cours de l’année écoulée », en juxtaposant la photo du cinéaste, trophée en main et poing levé, avec celle, prise trente-deux ans auparavant, de son aîné, le réalisateur engagé Yilmaz Güney, Palme d’or en 1982 pour son film Yol (« La route »). L’homme, qui se trouvait à cette époque emprisonné en Turquie, parvint peu après à s’évader et termina sa vie en France dans la clandestinité, déchu de sa nationalité par le gouvernement turc.Le journal rapportait aussi les réactions des dirigeants turcs: le président Abdullah Gül se réjouissant de cette récompense pour la Turquie l’année du 100e anniversaire de son cinéma national, et le premier ministre Recep Tayyip Erdogan ayant déclaré avoir téléphoné au lauréat pour le féliciter.

 

          Le Palmarès 2014

  • Palme d’or (et prix de la critique internationale): Winter Sleep, de Nuri Bilge Ceylan.
  • Grand prix du jury: Le Meraviglie (Les Merveilles), d’Alice Rorhwacher.
  • Prix de la mise en scène:  Bennett Miller, pour Foxcatcher.
  • Prix du scénario:  Andreï Zviaguintsev et Oleg Negin, pour Leviathan.
  • Prix d’interprétation féminine: Julianne Moore, dans Maps to the stars, de David Cronenberg.
  • Prix d’interprétation masculine: Timothy Spall, dans Mr. Turner, de Mike Leigh.
  • Prix du jury (ex aequo): Mommy, de Xavier Dolan, et Adieu au langage, de Jean-Luc Godard.
  • Palme d’or du court métrage: Leidi, de Simon Mesa Soto.Prix « Un certain regard »:Feher Isten, de Kornel Mundruczo.
  • Prix du jury œcuménique: Timbuktu, d’Abderrhamane Sissako.
  • Caméra d’or (récompense un premier film): Party Girl, de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis.

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