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Les dégâts d’une diplomatie désinvolte. La pire politique étrangère de la Ve République 24 septembre 2014

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Le Monde (France) mercredi 24 septembre 2014, p. 18

Jean-François Bayart *

A l’heure où Nicolas Sarkozy revient en sauveur, il n’est pas inutile de dresser le bilan de sa politique étrangère. Les difficultés auxquelles se heurte la France (et l’Union européenne) en Méditerranée et en mer Noire sont en effet un héritage direct de la diplomatie qu’il a poursuivie.

En 2011, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la France est intervenue militairement contre un Kadhafi qu’il avait précédemment flatté de manière indécente. Le prétexte utilisé était fallacieux : sauver Benghazi la rebelle. Les spécialistes savent que ce fut un mensonge éhonté : la ville n’était pas menacée par cette fameuse colonne de blindés qui servit d’alibi, bien qu’elle fût vulnérable à de simples tirs d’armes antichars faciles à manier au sol.

Mais le président français entendait se blanchir du soutien apporté jusqu’au bout au président Ben Ali, en Tunisie, et se refaire une virginité démocratique – à moins qu’il n’obéît à de plus obscurs motifs. Sans se préoccuper du sort des dizaines de milliers d’Africains pris au piège de la guerre – sinon pour leur refuser le droit d’asile -, ni de l’onde de choc que celle-ci ne manquerait pas de provoquer dans le Sahel, ni même de l’avenir politique de la Libye. De Tripoli à Bamako, on connaît maintenant le coût de cette légèreté.

En Syrie, la volte-face de Nicolas Sarkozy fut aussi spectaculaire. Au grand dam des Etats-Unis, il sortit le président Bachar Al-Assad de l’isolement dans lequel l’avait confiné l’assassinat en 2005 du premier ministre libanais Rafiq Hariri. Il a même invité le président syrien en 2008 au défilé du 14-Juillet et lui a fourni du matériel d’écoute, facilitant ainsi la répression de son opposition. Quitte à devoir prendre ses distances devant l’ampleur du soulèvement de 2011.

Pis, ces événements refermèrent sur la France le piège dans lequel l’avait fourvoyée une politique radicale de sanctions à l’encontre de l’Iran, plus dure encore que celle des Etats-Unis. La population iranienne en a payé le prix, et les services de sécurité du régime, rompus au contournement de l’embargo, en ont touché les dividendes.

Néanmoins, l’élection d’Hassan Rohani à la présidence de la République islamique et la reprise des négociations avec Téhéran, en 2013, ne doivent pas faire illusion : la détermination nucléaire de l’Iran reste entière, car l’Occident n’a pas les moyens de son veto.

En attendant, l’industrie française – en particulier Total, GDF, Peugeot – a perdu contrats, emplois et débouchés sur un marché de 70 millions d’habitants. Et, si Téhéran s’est vu cantonné à son alliance avec Damas, les pays occidentaux se sont, eux, retrouvés otages des pétromonarchies du Golfe, à commencer par le Qatar, partenaire privilégié de Nicolas Sarkozy, qui ne s’est jamais ému du soutien de l’émirat aux djihadistes. Aujourd’hui, la question est de savoir comment renouer avec l’Iran pour endiguer ces derniers, stabiliser la Syrie et l’Irak, et maintenir la paix au Liban et en Afghanistan.

Avec la Turquie, le bilan est plus consternant encore. Comme cela était à prévoir, le blocage névrotique des négociations d’adhésion de cette dernière à l’Union européenne l’a encouragée dans une diplomatie de substitution. Triomphalement élu à la présidence de la République au mois d’août, Recep Tayyip Erdogan se sent pousser des ailes. La tentation sera grande pour lui de faire cavalier seul, sans trop d’égards pour les intérêts et la sécurité de l’Europe.

L’agressivité de Nicolas Sarkozy à son encontre n’a pas favorisé son dialogue délicat avec l’Arménie, contribuant à rejeter celle-ci dans les bras de la Russie et à cimenter la collusion entre la Turquie et un Azerbaïdjan fort de ses pétrodollars. Le scandale du 17 décembre 2013, qui a impliqué, en même temps que l’entourage de M. Erdogan et la banque publique Halkbank, un homme d’affaires iranien, également détenteur des citoyennetés azerbaïdjanaise et turque, dans le contournement des sanctions contre l’Iran, à grand renfort de trafics d’or et de devises, donne un avant-goût des potentialités de l’économie de l’ombre que conforte le rejet, par l’Union européenne, de la candidature d’Ankara.

L’énormité de ce  » tout faux  » vis-à-vis de la Turquie ne doit pas dissimuler une autre erreur d’appréciation, plus lourde encore, peut-être, de conséquences. Nicolas Sarkozy est parvenu à faire passer sa médiation entre la Géorgie et la Russie, en 2008, pour un grand succès de son volontarisme diplomatique. Or, c’est oublier que cet accord bâclé, dont la traduction en russe n’avait même pas été vérifiée – elle parlait de  » recul  » des troupes russes, et non de leur  » retrait « , comme dans les versions française et anglaise -, a permis à Vladimir Poutine de s’emparer de l’Ossétie du Sud à la faveur d’une guerre d’agression dont il reconnaîtra ultérieurement qu’elle était préméditée.

Venant après la satellisation par Moscou de l’Abkhazie sécessionniste, l’invasion de la Géorgie ouvrait la voie au démembrement de l’Ukraine. Nous y sommes.

Certes, il ne s’agit pas d’imputer à Nicolas Sarkozy la responsabilité de ces crises qui se sont enchaînées et imbriquées. Néanmoins, il y a répondu avec une désinvolture qui fait douter de sa stature d’homme d’Etat. Sa politique étrangère a été la plus mauvaise qu’ait connue la Ve République. Est-il encore besoin d’ennemis, avec un tel  » sauveur « ?

* Directeur de recherche au CNRS. Jean-François Bayart est notamment l’auteur de Sortir du national-libéralisme. Croquis politiques des années 2004-2012 (Karthala, 2012)

Commentaires»

1. Sarkozy’s foreign policy: A cavalier diplomacy | Arun with a View - 15 octobre 2014

[…] But Sarkozy’s foreign policy was, in fact, as calamitous as his policies on the home front, as the well-known political scientist Jean-François Bayart has reminded us in an op-ed in Le Monde three weeks ago, “Les dégâts d’une diplomatie désinvolte,” in which Bayart asserts that Sarkozy’s foreign policy was the worst of the 5th Republic. Period. The série noire is lengthy. The high (or maybe low) points: sucking up to Muammar Qadhafi and then doing a 180°—in trademark Sarkozy fashion—in declaring war on him four years later and on fallacious pretexts; supporting the Ben Ali regime in Tunisia to the bitter end; promoting Bashar al-Assad and honoring him with a state visit to France; taking a harder line toward Iran than even the US, which undermined French interests in Iran but not the Iranian regime; poisoning relations with Turkey for no good reason (a subject I have covered extensively on this blog); poisoning relations with Mexico over a judicial affair (involving a private French citizen) that a president of the French Republic had no business getting involved in; et j’en passe. For those who cannot get behind Le Monde’s paywall, Bayart’s piece may be read in its entirely here. […]


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