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Olivier Roy « Je me bats contre les préjugés sur l’islam » 30 octobre 2014

Posted by Acturca in Books / Livres, Central Asia / Asie Centrale, France, Immigration, Middle East / Moyen Orient, Religion, Turkey / Turquie.
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Pèlerin (France) no. 6883, jeudi 30 octobre 2014, p. 4-7

Sophie Laurant

Philosophe, sociologue, ce spécialiste de l’islam politique a débuté sa carrière en apprenant les langues orientales et en voyageant dans les montagnes afghanes. Dans son dernier livre, En quête de l’Orient perdu *, il nous livre ses mémoires et sa vision percutante des évolutions religieuses en Occident.

Pourquoi ce livre bilan où vous retracez votre itinéraire ?

J’ai 65 ans, c’est un bon moment pour mettre sa vie par écrit. Mais, surtout, j’avais envie de publier un livre, très accessible, qui montre aux lecteurs que derrière les débats actuels abstraits, les clichés sur l’islam, le terrorisme, la globalisation, il ne faut pas oublier les hommes !

C’est-à-dire ?

Mon travail de terrain à partir de 1969, en Afghanistan, en Iran, en Turquie, dans les républiques musulmanes de l’ancienne URSS, avec sa part de danger et d’aventure, m’a permis de faire des rencontres magnifiques, avec aussi bien des paysans que des diplomates, des soldats que des notables. J’y ai appris qu’il faut toujours découvrir les liens sociaux subtils, qui se superposent dans une société en mutation rapide, avant de tenter d’analyser un conflit comme l’invasion russe de l’Afghanistan; un mouvement religieux émergeant comme le salafisme; un succès électoral comme celui du parti islamique Ennadha, en Tunisie, en 2011.

Pendant les années où vous sillonnez ces pays, souvent à pied ou à cheval, où vous en apprenez les langues, les coutumes, vous avez donc construit une méthode ?

C’est évident ! À Florence, en Italie, où j’enseigne aujourd’hui, je veux transmettre à mes étudiants et à mes collègues plus jeunes ce goût du terrain. Je leur recommande d’écouter les paysans afghans ou les étudiants iraniens donner leur analyse des événements qu’ils traversent avant de professer des théories préconçues !

Mais pourquoi racontez-vous aussi votre vie en France, à Dreux, et votre mariage avec une chrétienne d’Orient ?

p. 6

Parce que je plaide pour la subjectivité du chercheur ! Le terrain nourrit aussi, bien sûr, nos amitiés, parfois nos amours… Et change notre regard sur notre propre société. Car ces voyages m’ont permis d’observer – en prenant Dreux (Eure-et-Loir, NDLR) comme une sorte de « laboratoire » – les évolutions de la société française et européenne, avec un regard distancié et plus aigu. Cette double expérience me permet d’affirmer que l’émergence actuelle du groupe armé Daech (ou État islamique) ne reflète pas une radicalisation en profondeur des musulmans, ni au Proche-Orient ni chez nous.

Pourtant Daech fait peur…

Bien sûr, ce sont des gens dangereux localement. Mais la télévision nous les présente comme l’ennemi suprême de l’Occident : c’est faux !

Pourquoi ?

D’abord, Daech a atteint ses limites territoriales : ses troupes ont profité de l’effondrement des États irakien et syrien mais ne peuvent pas aller plus loin car la Turquie ou l’Iran sont des États forts. Ensuite, leur califat ne tient que par la terreur. Cela ne pourra durer : ils n’ont aucune stratégie politique car ils sont dans une perspective de fin du monde nihiliste. S’ils avaient le projet de véritablement construire un État, ils mettraient de l’eau dans leur vin et négocieraient avec leurs ennemis. Enfin, troisième raison de ne pas craindre une « contagion » de l’épiphénomène Daech : ce ne sont que des bandits très violents et déstabilisateurs, à l’instar des gangs de narcotrafiquants au Mexique qui, eux aussi, décapitent leurs otages. En Irak, Daech attaque d’autres musulmans, les Kurdes, les chiites, pas l’Occident !

Pourtant, tous les jours, de jeunes Occidentaux partent en Syrie, se battre à leurs côtés…

Il s’agit de quelques centaines de jeunes déclassés, mal dans leur peau qui se radicalisent en cinq semaines, mais pas pour des raisons religieuses. D’ailleurs leurs parents, qui souvent sont musulmans, ne les comprennent pas et appellent la police. D’un autre côté, on oublie les quatre millions de musulmans français qui intègrent chaque jour un peu plus les rangs des notables, qui passent le Bac, travaillent, achètent des pavillons, représentent 15 % de nos soldats, contractent des mariages mixtes… Ceux-là n’ont rien à voir avec les intégristes, même si on les somme d’exprimer leur désaccord. Et pour la plupart, ils sont peu religieux.

Vous écrivez en effet : « Il n’y a pas de retour du religieux mais une mutation. » Qu’est-ce que cela signifie ?

Je pense que toutes les grandes religions, partout dans le monde, sont confrontées à la sécularisation. En réaction, aux marges, pendant des moments de crise, des mouvements religieux radicaux et charismatiques, ceux qui aspirent à une rupture et à un absolu – parfois par la violence – ont le vent en poupe. Que ce soit certains salafistes, des pentecôtistes, des juifs radicaux. Mais le printemps arabe l’a confirmé : ce ne sont pas les partis religieux comme les Frères musulmans en Égypte ou le parti Ennadha en Tunisie qui ont fait imploser les dictatures, au contraire. Ils ont exercé brièvement le pouvoir mais cela n’a pas duré : l’opinion publique de ces pays n’est pas prête à les suivre aveuglément. D’ailleurs, on parle en Europe de « montée du communautarisme musulman », mais où voyez-vous des partis musulmans ? Où voyez-vous se monter un réseau d’écoles coraniques ? On déplore que les musulmans doivent faire venir des imams de l’étranger. Mais pourquoi y a-t-il si peu d’imams français ? Parce que l’islam connaît, lui aussi, une crise des vocations !

Pourquoi critiquez-vous la laïcité à la française, terreau, selon vous, du sentiment antimusulman ?

Contrairement aux États-Unis, où le religieux est intégré à la vie publique depuis toujours, ou aux pays nordiques qui vivent une sécularisation sereine, la France a transformé la laïcité en idéologie. Les croyants, et pas seulement les musulmans, sont de plus en plus incompris des non-croyants. Paradoxalement, ces croyants, plus rares, deviennent visibles aux yeux méfiants de la majorité. On trouve désormais bizarre de croiser dans la rue une religieuse ou une musulmane pieuse, chacune portant un voile. Alors que, dans les années 1950, tout le monde trouvait normal que l’Abbé Pierre siège à l’Assemblée nationale en soutane, aujourd’hui les gens disent « le religieux doit rester dans l’espace privé ! », ce qui est absurde et ce que la loi de 1905 qui définit la séparation de l’Église et de l’État n’a jamais dit.

p. 7

Vous semblez vous inquiéter d’un fossé culturel croissant…

Les gens ne savent plus ce qu’est une religion. Ils s’imaginent qu’un croyant est quelqu’un qui a un logiciel implanté dans la tête lui susurrant des versets du Coran ou de la Bible en réponse à toutes les situations. Ils confondent théologie et religiosité. Alors que dans une paroisse chrétienne, par exemple, la religion n’est pas basée quotidiennement sur les débats théologiques mais se vit d’abord à travers des liens de convivialité, des échanges de toutes sortes, plus liés à la vie de famille, au voisinage, etc. C’est ainsi que se vit l’islam dans un village afghan ou dans une association musulmane française.

Mais de leur côté, les plus « traditionnels » se méfient souvent de la culture…

Oui, car pour eux, elle est le reflet d’une société devenue païenne. Sous Jules Ferry, en France, au XIXe siècle,même si on s’étripait entre « calotins » et « bouffe-curés », tout le monde partageait la même culture, sur ce qui était permis ou pas en matière de moeurs, ce qui était moral ou pas. Depuis mai 1968, un nouveau système de valeurs fait désormais primer la liberté individuelle, les choix personnels, sur les autres considérations. Cela a provoqué une rupture entre les laïcs et les religieux les plus conservateurs sur ce plan-là.

Pourquoi êtes-vous si intéressé par ces questions ?

J’ai reçu une solide formation dans la religion protestante, j’y ai toujours réfléchi. En ce moment, je termine, avec mon équipe de recherche, un gros travail à l’échelle européenne sur la manière dont les libertés nouvelles, aussi bien que les contraintes sociales, peuvent pousser les différentes religions à modifier leur relation à la société.

Par exemple ?

En France, les musulmans ont accepté d’avoir un « aumônier » aux armées – et non pas un « imam » -, et sont ainsi représentés sur un pied d’égalité avec les autres grandes religions. C’est un signe d’intégration culturelle. Par ailleurs, l’Église catholique est en train de se repenser comme religion minoritaire dans notre pays, ce qui est tout à fait nouveau et va avoir des implications passionnantes.



* En quête de l’Orient perdu, 
entretiens avec Jean-Louis Schlegel, 
d’Olivier Roy, Éd. Seuil, 324 p.; 21 €




Commentaires»

1. PIOUPIOUJAUNE - 31 octobre 2014

Très belle interview !!!! vive le respect d’autrui


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