Allemagne. Un épicier turc devenu symbole de la lutte des classes 16 juin 2015
Posted by Acturca in Economy / Economie, EU / UE, Immigration.Tags: Allemagne, Berlin, Kreuzberg
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Le Télégramme (Bretagne) mardi 16 juin 2015, p. IGE2
Monde
« Ca va détruire sa vie, mais ils s’en fichent » : dans le quartier berlinois de Kreuzberg, les habitants se mobilisent contre l’expulsion de leur épicier turc, devenu symbole de la lutte contre la hausse des loyers et la « gentrification » (*).
« Je suis choqué », explique Ahmet devant son magasin, yeux rieurs mais silhouette fatiguée, avant de dire son désir de rester et relater ses vaines tentatives de conciliation avec le nouveau propriétaire.
Ancien quartier de Berlin-Ouest lors de la partition, peu attirant pour le bourgeois car adossé au Mur, Kreuzberg a été modelé depuis les années 60 par l’immigration turque. Surnommé le « petit Istanbul », il est longtemps resté un quartier populaire, à l’immobilier bon marché, dans une ville déjà considérée comme l’une des plus abordables d’Europe. Mais après la chute du Mur en 1989 et la Réunification un an plus tard, Kreuzberg, où vivent 275.000 personnes, s’est retrouvé en centre-ville et n’a pas échappé à la hausse des loyers qui touche Berlin depuis plusieurs années (+46 % depuis 2009, +54 % pour Kreuzberg). Un phénomène qui chasse progressivement les classes populaires vers la banlieue, au profit de populations à plus hauts revenus. L’histoire d’Ahmet Caliskan, un épicier de 55 ans, est devenue emblématique de ce phénomène de « gentrification ». Avec ses immeubles tagués et ses façades cloquées, ce coin de Kreuzberg a gardé quelque chose du quartier déshérité et alternatif qu’il était, où punks et familles turques se côtoyaient. Truffé de bars et de restaurants, il est aujourd’hui l’un des plus prisés des Berlinois branchés.
L’église au milieu du village
Ahmet avait 14 ans lorsqu’il a quitté la Turquie pour rejoindre son père. Ce dernier faisait partie de la main-d’œuvre turque venue apporter, dans les années 60, son écot au miracle économique allemand, avant de fonder son commerce, « Bizim Bakkal » (« Notre épicerie »). Depuis 1987, Ahmet travaille dans ce magasin qui marche bien et fait vivre la famille. Pourtant, les Caliskan vont devoir partir : une société immobilière a racheté l’immeuble dont l’épicerie occupe le rez-de-chaussée. Leur bail a été résilié fin mars. Ils ont jusqu’au 30 septembre pour plier bagage. « Ils vont détruire leur vie, mais ils s’en fichent », soupire, sous couvert d’anonymat, un enseignant, soutien de la première heure. Car le quartier s’est vite mobilisé autour d’un noyau de clients et, depuis trois semaines, des rassemblements ont lieu les mercredis devant l’épicerie. La presse s’est aussi emparée de l’histoire. Pour le quotidien Tageszeitung, arracher les Caliskan du quartier, « c’est comme un village dont on voudrait détruire le clocher ». Ahmet, lui, s’accroche à son combat : « Le 1 e r octobre, on sera encore là ! », glisse-t-il dans un sourire…
* Embourgeoisement urbain, ou l’expulsion des couches populaires.
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