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La Turquie s’intéresse à son archéologie 4 janvier 2008

Posted by Acturca in History / Histoire, Turkey / Turquie.
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La Croix (France)

4 janvier 2008

Progressivement, la Turquie prend conscience de l’immense richesse de ses sites archéologiques – grecs, romains, byzantins, musulmans, ottomans – et joue dorénavant la carte du tourisme culturel.. Istamboul, Gaziantep, Izmir, reportage de notre envoyé spécial

«Vous avez devant vous l’un des plus grands cimetières de bateaux antiques de la Méditerranée », annonce d’emblée Nergis Günsenin, professeur d’archéologie marine à l’université technique et l’une des responsables des fouilles menées sous l’égide du Musée archéologique d’Istamboul, avec l’aide de l’Institut français des études anatoliennes (Ifea). Dans l’actuelle Istamboul, à deux pas du palais de Topkapi, nous sommes en effet à Yenikapi, dans le port créé par l’empereur Théodose II (Ve siècle) mais où, dès le néolithique il y a 5 ou 6 millénaires, des hommes s’étaient installés.

Devant nous une énorme échancrure, grande comme un champ de course, bordée d’une gare et d’immeubles, avec de l’eau stagnante au fond et une immense mosaïque de points colorés : du bleu pour les caisses en plastique dans lesquelles les fouilleurs déposent avec délicatesse les moindres trouvailles ; de l’orange fluo pour les vestes de sécurité que porte la centaine d’ouvriers maniant pelles, pioches et brouettes. Le tout sous un ciel bleu émeraude, un soleil étincelant et un concert de klaxons nous rappelant que l’on est dans l’une des plus grandes mégapoles du monde avec ses 16 millions d’habitants.

« Depuis 2004, dans le cadre du grand chantier de construction du métro Marmaray qui doit franchir le détroit du Bosphore, nous avons entrepris cette fouille de sauvetage », explique Metin Gökcay, chef de chantier du Musée archéologique d’Istamboul. En ce lieu situé à moins de 300 mètres du littoral actuel, les archéologues ont eu la chance de tomber sur pas moins de 27 épaves, datant du XIe -XIIe s., en pleine époque byzantine. Une première ! Car jusqu’à maintenant, les Turcs s’intéressaient peu à cette époque préislamique. « Les bateaux étant tous chargés d’amphores en terre cuite, typiques de la région, nous pensons qu’ils ont coulé lors d’une grosse tempête, voire d’un tsunami, indique Nergis Günsenin. À l’époque le vin, monopole des moines, était fabriqué en grande quantité dans la région de Ganos, dans le nord-ouest de la mer de Marmara, et était expédié par des bateaux caboteurs jusqu’à Constantinople qui était une ville riche et peuplée », poursuit-elle. Progressivement ensevelis par les sédiments marins, les épaves ont été protégées. On en distingue deux types : le « cargo » de l’époque, mesurant environ 25 mètres de long et 8 mètres de large, et le « kayak », plus long, moins évasé et plus rapide.

Faites de chêne, ces épaves intéressent énormément les spécialistes d’archéologie marine, car elles ont été fabriquées selon une technique rare et ancienne nécessitant un savoir-faire très élaboré. « Les charpentiers d’alors assemblaient d’abord les planches du bordé (la coque) avant d’y inclure les membrures (le squelette) », explique Aksel Tibet, archéologue turc travaillant depuis des années à l’Ifea. Aussi, lors de la mise au jour faut-il intervenir avec précaution afin que le bois immergé depuis des siècles ne se dessèche rapidement et tombe en poussière. « Sitôt en contact avec l’air, les pièces de bois sont régulièrement aspergées d’eau douce de façon à éliminer progressivement le sel qui s’y est inséré, explique Ufuk Kocalas, professeur associé à l’université d’Istamboul. Ensuite, on déménage le bois au laboratoire où on lui injecte une sorte de résine qui va pénétrer les espaces vides et ainsi rigidifier l’ensemble.»

Quant aux nombreux et intéressants petits objets ramassés sur le site de Yenikapi depuis 2004, ils font l’objet d’une exposition intitulée « à la lumière du jour » au Musée archéologique d’Istamboul. Le plus étonnant ? Des poteries noires datant du Ve s. av. J.-C., des objets illustrant la présence chrétienne (anse d’amphore décorée d’une croix, assiette arborant le visage d’un saint, sceau de l’évêque Sévérianus, encensoir), des restes osseux animaux ainsi que des objets de la vie quotidienne. Bref autant de traces d’une activité humaine, ancienne, diverse, à laquelle les Turcs ont su donner tout l’éclat nécessaire.

Un véritable effort qui, sans doute, contraste avec la conservation du site gréco-romain de Zeugma, situé loin dans le sud-est de l’Anatolie, près de la ville de Gaziantep, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière syrienne, sur l’une des routes de la soie. Site somptueux par la qualité de ses mosaïques, Zeugma (qui signifie « passage, pont ») a été fondé par un général d’Alexandre-le-Grand vers 300 av. J.-C., et se situe en bordure d’un passage resserré de l’Euphrate. Découvert dans les années 1990, Zeugma a laissé bon nombre d’archéologues et d’historiens amers car, dans le cadre de l’aménagement hydraulique du sud-est anatolien, les autorités turques avaient décidé d’y construire le barrage de Birecik et d’ennoyer cette partie de la vallée de l’Euphrate. Et donc de noyer un tiers des restes archéologiques sous 40 mètres d’eau. « Sur un site de 20 000 m2, il y avait 1 500 m2 de mosaïques que nous avons démonté. Les plus belles et les plus complètes, soit plus de 500 m2, sont exposées au musée de Gaziantep, tandis que les 1 000 m2 autres sont stockées dans un dépôt, assure Mehmet Önal, chef des fouilles. Celles-ci se poursuivent aujourd’hui sur les deux tiers restants du site comprenant notamment le théâtre et le temple perché en haut de la colline. Nous projetons de laisser sur place ce que nous trouverons et d’y bâtir un musée de plein air. »

Réputées pour leurs petits cubes de céramique ou de pierre naturellement colorée – les tesselles – de couleur vert, bleu, orange, rouge auxquels les artistes ajoutaient de microscopiques morceaux de verre pour éclaircir le ton, les plus célèbres mosaïques de Zeugma sont celles de Dionysos et Ariane, Poséidon et surtout celle dite de « la gitane », jeune femme aux larges boucles d’oreilles circulaires, aux cheveux épais et au regard perçant.

Aurait-on pu sauver l’intégralité du site ? « Oui, selon Pierre Leriche, initiateur de la Mission archéologique de Zeugma (CNRS-ENS) en 1996. Un jour, le directeur du barrage a reconnu que s’ils avaient été avertis cinq ans plus tôt, les ingénieurs turcs auraient pu avancer le barrage de 500 mètres en amont et ainsi préserver la cité », poursuit l’archéologue. Malheureusement, les instituts d’archéologie français, britanniques, américain et néerlandais, pourtant présents en Turquie de longue date, ne sont pas intervenus.

RECTIFICATIF : Dans la page Reportage du 3 janvier sur le patrimoine de l’Orne, il faut lire, dans la légende de la photo que c’est une chapelle de Saint-Céneri-le-Gérei qui a été dotée de nouveaux vitraux, et non l’église.

Repères. Des graffitis du IVe siècle À Izmir, au bord de la mer Égée, les archéologues ont mis au jour des graffitis originaux. La ville reconstruite au IVe siècle comptait une immense agora et, selon Vitruve, une basilique romaine civile de 136 mètres qui, probablement, jouait alors un rôle de gymnase.

Des graffitis du IVe siècleÀ Izmir, au bord de la mer Égée, les archéologues ont mis au jour des graffitis originaux. La ville reconstruite au IVe siècle comptait une immense agora et, selon Vitruve, une basilique romaine civile de 136 mètres qui, probablement, jouait alors un rôle de gymnase. C’est le long de ses murs que les archéologues Markus Kohl, de l’Institut français d’études anatoliennes (Ifea), et Didier Laroche, de l’université de Strasbourg, ont découvert les graffitis : des dessins au crayon noir ou des ciselures dans le calcaire tendre.L’interprétation est encore préliminaire. Cependant, « les dessins de gladiateurs pourraient correspondre aux effigies des Zidane de l’époque, explique Didier Laroche, les croquis de bateaux aux vœux de marins ou de voyageurs de passage, tandis que les schémas d’organes génitaux dits apotropaïques sont destinés à écarter le danger. Quant aux profils d’ibis, ce sont des symboles chrétiens dont la présence était importante au IIe siècle. »

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