« Il va falloir repenser notre rôle au Moyen-Orient » 2 mars 2009
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L’Humanité (France), 2 mars 2009, p. 11
Pierre Barbancey
Robert Malley, ancien conseiller de Bill Clinton, personnalité susceptible de rejoindre l’administration Obama, explique à l’Humanité l’approche nouvelle nécessaire dans la région. Principauté de Monaco, envoyé spécial.
Est-ce que l’Égypte est en train de retrouver son rôle de médiateur dans la région ?
Robert Malley. Elle ne l’a jamais vraiment perdu. Au plus fort de la guerre de Gaza, les autres médiateurs potentiels se sont vite rendu compte qu’au vu de la position américaine et israélienne, il n’y avait que l’Égypte qui pouvait réellement faire fonction de médiateur. En même temps il y a une insatisfaction qui s’est fait très clairement sentir côté palestinien, du côté du Hamas, du côté de certains pays arabes qui ont voulu rivaliser avec ce monopole égyptien. Mais, au bout du compte, l’Égypte est arrivée à s’affirmer comme pôle central et incontournable, que ce soit pour les négociations inter palestiniennes ou entre le Hamas et Israël. On a cependant vu la Turquie, le Qatar et même la Syrie. Finalement, tout s’est ramené à l’Égypte, au grand dam du Hamas qui aurait voulu que d’autres pays, y compris la France, puissent jouer un rôle d’intermédiaire, d’interlocuteur au moment où il traversait une crise de confiance grave avec Le Caire.
Est-ce qu’on n’assiste pas à une modification, de la part de l’UE et peut-être des États-Unis,de leur comportement vis-à-vis des mouvements islamistes ?
Robert Malley. Il est trop tôt pour le dire. Il y a des tendances un peu opposées. D’un côté on voit de la part de certains pays, comme la France en particulier, une ouverture vis-à-vis de cette question, qui consiste par exemple à dire que s’il y a un gouvernement nationale palestinien on le traitera différemment de la façon dont il a été traité en 2007. L’erreur stratégique qui a été commise alors consistait à dire que le boycott continuerait. Aujourd’hui, on sent de la part de la France, de la Grande-Bretagne un son de cloche un peu différent. On verra ce qui se passera s’il y a un gouvernement d’union nationale, quelle sera l’attitude américaine. Certains facteurs montrent une évolution. Y compris de la part des États-Unis, lorsque George Mitchell (l’envoyé spécial américain au Moyen-Orient – NDLR) dit que l’union palestinienne n’est pas un obstacle mais une condition préalable à un véritable processus de paix. Le Hamas n’a pas empoché tous les bénéfices internationaux sur lesquels lui-même comptait. Il reste de la part de beaucoup de pays européens, de la part des États-Unis, de la part de certains pays arabes une volonté, si ce n’est d’isoler le Hamas, d’au moins le soumettre à des pressions très fortes. Ce qui a amené le Hamas à lui-même reconsidérer la problématique de l’union palestinienne. Les retombées de la guerre de Gaza ont fait réaliser au Fatah et au Hamas l’urgence d’une certaine union – je ne parlerais pas de réconciliation – peut-être tactique, avec la formation d’un gouvernement. Pour le Hamas, il s’agit de briser ce mur avec la communauté internationale et pour le Fatah de rétablir un peu de crédibilité interne après une guerre où, pour la première fois depuis la création du mouvement national palestinien, le Fatah a été absent.
Est-ce que l’élection de Benyamin Netanyahouva être un nouvel obstacle ?
Robert Malley. L’élection de Netanyahou est un reflet plutôt qu’une cause de la situation qu’on connaît aujourd’hui. L’incapacité du système politique israélien à réellement résoudre le conflit israélo-arabe et en particulier le conflit israélo-palestinien précède l’élection de Netanyahou. Il y avait, à la Knesset, une majorité qui, a priori, serait prête à accepter un règlement du conflit. Or ça n’a pas eu lieu, malgré tout ce qui s’est passé entre Olmert et Abbas. L’élection de Netanyahou clarifie les choses. On connaît la réalité palestinienne extrêmement complexe avec les divisions entre le Hamas et le Fatah. Il faut que la communauté internationale se rende compte qu’on ne peut pas faire l’impasse sur cette réalité du Hamas tout comme elle ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas un morcellement du système politique israélien. Elle ne peut pas faire comme s’il suffisait de mettre les dirigeants de chaque partie dans une pièce pour aboutir à un accord de paix. L’approche politique doit prendre en compte les réalités israéliennes et palestiniennes. On assiste aux symptômes d’une réalité qu’il faut comprendre et prendre à bras-le-corps.
Est-ce qu’on doit s’attendre à une nouvelle approche du conflit israélo-palestinien de la part de l’administration Obama ?
Robert Malley. Les huit années vécues sous l’administration Bush sont une anomalie dans l’histoire de la politique américaine vis-à-vis de la région. On va au moins en revenir à ce qui existait avant 2000. C’est-à-dire réaliser que le conflit israélo-palestinien est central, que les États-Unis doivent s’y engager de façon soutenue dès le début, qu’il faut montrer l’intérêt pas seulement pour les questions de réformes institutionnelles palestiniennes, de renouvellement des services de sécurité palestiniens, la refonte et la réforme de l’économie palestinienne, mais qu’il faut également traiter les problèmes politiques. Qu’il faut relancer le processus israélo-syrien avec une intervention américaine. On va donc revenir à ce qu’on connaissait avant 2000. La question est de savoir si on va aller au-delà. Est-ce que l’approche vis-à-vis du conflit israélo-palestinien va non seulement tourner la page de l’ère Bush, mais également de l’ère Clinton qui malheureusement n’a pas abouti à un accord israélo-palestinien ? Il y a des signes positifs : la nomination de Mitchell et le voyage dans la région dès le début. Mitchell comprend le problème des colonies de peuplement. Mais on ne sait pas vraiment quels seront les chapitres suivants, pour une raison qui est bien simple, la région elle-même est fondamentalement différente de celle qu’ont connue toutes les autres administrations américaines. On parlait de retombées politiques de la guerre de Gaza, on pourrait également parler de celles de la guerre au Liban en 2006 : montée de l’islamisme, montée du Hamas, du Hezbollah, essoufflement du rôle de l’Égypte malgré son retour dans la médiation centrale, essoufflement du rôle saoudien, montée de quelques autres interlocuteurs potentiels (Turquie, Qatar). Il va peut-être falloir revenir sur les grandes idées pour résoudre le conflit israélo-palestinien, à savoir les idées de Clinton et les idées du document de Genève et voir en quoi les changements dans la région, les changements d’interlocuteurs israéliens, palestiniens, les élections en Israël, la fragmentation du système politique israélien vont remettre en cause certains des paramètres avec lesquels on était familiers. Le puzzle est totalement différent.
Est-ce que l’Amérique est prête à se rendre compte des changements profonds qui ont eu lieu dans la région ?
Robert Malley. La politique américaine ne sera pas révolutionnaire mais la région a vécu une véritable révolution, en plusieurs temps, en plusieurs années mais dont les répercussions ne sont pas encore toutes visibles. C’est le véritable défi de l’administration Obama. Il ne s’agit pas seulement de rompre avec l’ère Bush – ça, elle le fera -, mais de rompre avec tout ce qu’on a connu par le passé. Il va falloir remettre en question toute l’approche, y compris celle qui consistait à dire qu’on connaît la solution et qu’on va la mettre sur la table. Il faudra certainement une approche plus globale, qui incorpore la Syrie, l’Iran, le Liban. Mais il va falloir également repenser le rôle américain, le rôle de la communauté internationale. C’est un défi très important au moment où les États-Unis font face à d’autres défis de dimension importante, la crise économique bien sûr, mais on pourrait parler de l’Irak, de l’Afghanistan, du Pakistan, de l’Iran…
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