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Pour saluer Mehmet et Igor 14 juin 2010

Posted by Acturca in Art-Culture, Books / Livres, France, Turkey / Turquie.
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L’Humanité (France)

14 juin 2010, p. 19

Entre sa Turquie natale et la France, Mehmet Ulusoy (1942-2005) a semé son existence de spectacles mémorables, tant par la force d’un imaginaire puissamment concrétisé que par leur visée libératrice sous-jacente. Sous le titre Mehmet Ulusoy, un théâtre interculturel, un livre à plusieurs mains dirigé par Béatrice Picon-Vallin et Richard Soudée, qui fut de ses proches, rend un hommage fervent et documenté à cet artiste résolument singulier (1). Selon le vœu de son directeur, Christophe Rauck, une salle du Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis porte désormais le nom de celui qui, en 1975, y présentait le Cercle de craie caucasien, de Brecht. Entamée en Turquie avec le Théâtre de l’Ouvrier, sous le signe de l’agit-prop au contact des formes de représentation populaires, du théâtre d’ombres de Karagueuz et sous le parrainage implicite du poète communiste Nazim Hikmet (1902-1963), l’aventure de Mehmet se poursuivit dans l’exil, en France.

Depuis le Nuage amoureux jusqu’aux Légendes à venir, entre autres, via Pourquoi Benerdji s’est-il suicidé?, sans omettre par exemple Dans les eaux glacées du calcul égoïste, fabuleuse tentative de faire théâtre du Capital de Marx (Cour d’honneur d’Avignon en 1976) ou encore Une saison au Congo, d’Aimé Césaire (Théâtre de la Colline, 1988), les auteurs passent au crible le bricolage de génie qui a présidé à ces créations – faites d’objets de rebut détournés avec art –, ainsi que tous les éléments de métissage des formes d’une pratique tout à la fois savante dans sa conception et populaire, joueuse et joyeuse dans l’exécution, volontiers placée sous le signe de Bruegel et Rabelais. Pour qui a connu le grand rire sonore de Mehmet, un rire d’ogre chaleureux, la lecture de ces pages ne va pas sans une sorte de mélancolie bénéfique.

Jean-Pierre Thibaudat se penche sur une autre figure à part, celle d’Igor, Gonin pour l’état civil, fondateur avec sa compagne Lily et d’autres de la fameuse Volière Dromesko, après l’avoir été du Cirque Aligre et du Théâtre Zingaro aux côtés de Bartabas, alias Martex à l’époque (2)… Ce n’est pas tout, Igor, saltimbanque dans l’âme, créateur à l’envi de chaleur communicative où qu’il se plaise, a notamment conçu, depuis 1998, au lieu-dit la Ferme du Haut-Bois, de connivence avec le maire de Saint-Jacques-de-La-Lande, dans la banlieue de Rennes, une sensationnelle Baraque avec l’aide de l’architecte Patrick Bouchain, qui est l’un de ses commensaux attitrés. La Baraque s’est vue renforcée par une «école foraine» au pied des HLM. Sous l’apparence du poème en prose, Thibaudat relate avec tendresse les étapes successives d’un parcours hors du commun, fondé sur l’amitié en bande et l’amour du partage avec les gens, ainsi que dit Igor qui n’emploie pas le mot de «public» mais qui épluche, chaque jour, les légumes de la soupe qui leur sera servie le soir.

(1) L’Âge d’homme éditeur, 280 pages, 29 euros, préface de Robert Abirached, contributions de Denis Bablet, Philippe Ivernel, Romain Piana, Michel Launay, Jean-Pierre Sarrazac, Anne Ubersfeld, Aysin Candan, Bige Berker, Nejat Ferouse, José Valverde, avec les témoignages des comédiens et metteurs en scène Emiliano Suarez, Daniel Soulier, Lulu Menase, Jean-Marie Winling, Dido Lykoudis, Christian Julien, Magali Montoya, Cécile Garcia-Fogel et Jean Boillot.

(2) Dromesko souvenirs d’Igor, Actes Sud, collection «l’Impensé», 128 pages, 60 iconographies, 22 euros.

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