Laïcités islamiques 15 juin 2010
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Le Monde (France), 15 juin 2010, p. 20
Gilles Paris
Nul doute que la question devenue sempiternelle de la compatibilité de l’islam avec la République resurgira en juillet à l’occasion du débat sur le projet de loi interdisant le port du voile intégral, quand bien même les pouvoirs législatif et exécutif se mobilisent en vérité depuis un an pour de bien maigres cohortes.
Manifestement agacé par la teneur du débat que le sujet a suscité, ainsi que celui sur l’identité nationale, Jean-François Bayart a décidé de faire parler la poudre de l’expert en politique comparée. L’ancien directeur du CERI-Sciences Po n’y va pas par quatre chemins, mais par trois, vers Ankara, Téhéran et Dakar, pour démontrer que, pour peu que l’on veuille bien se déprendre de quelques confortables certitudes, l’islam républicain n’a rien d’un oxymore, voire d’une provocation.
Première tâche : revenir sur des simplismes. Comme le rappelle Jean-François Bayart, la République ne signifie pas la démocratie en toutes occasions et elle n’est pas l’amie naturelle des femmes, argument suprême avancé dans le débat sur le voile intégral. La France, qui se prétend modèle en la matière, a tardé, jusqu’en 1946 et son quatrième avatar républicain, pour accorder à ces dernières le suffrage universel. Deuxième travail préconisé par le comparatiste : déconstruire un islam trop souvent réifié, en France comme ailleurs. » L’islam n’existe pas, affirme Jean-François Bayart, il n’est que des musulmans (…) dont les pratiques sociales sont plurielles et contradictoires. »
Le parcours proposé au lecteur, qui épouse l’itinéraire scientifique du chercheur, est savant et stimulant. L’étape turque est notamment visitée dans ses moindres recoins. Ce parcours livre, du moins Jean-François Bayart l’espère-t-il, cette certitude : l’islam républicain existe, la supposée confusion-acquisition de l’Etat et de la religion n’est vérifiée ni à Ankara, ni à Dakar, ni à Téhéran, où les événements, depuis la réélection controversée de Mahmoud Ahmadinejad, témoignent de la fausseté du sobriquet de » régime de mollahs » dont certains continuent d’affubler la République islamique.
» Matrice gallicane «
Mais ce voyage pédagogique trouve sa véritable destination ou plutôt ses véritables cibles (la Place Beauvau et » les fondamentalistes de la laïcité française « ), dans les ultimes pages du livre, les plus corrosives. Et Jean-François Bayart de décocher ses flèches. Ethno-confessionnelles, les Républiques turques, iraniennes ou sénégalaises ? Pas moins que la française, » issue de la matrice gallicane » et dont » la catholicité que prouve la consommation de porc et d’alcool » a été rappelée par l’épisode de la rencontre entre le militant UMP d’origine maghrébine et le ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, qui a valu à ce dernier une condamnation pour racisme. Exemplaire, cette République qui a » transformé sa pragmatique de l’esprit laïque (…) en nouvelle religion d’Etat « , » dont le bras armé » est » le recours intempestif à la loi, à toujours plus de lois prohibitives, et donc à toujours plus de répression » ?
Jean-François Bayart lui oppose la sagesse des républicains » opportunistes » de la jeune IIIe République qui surent donner » du temps au temps (…) en attendant que les campagnes se convertissent au nouveau régime sous la houlette des « hussards noirs » au prix d’un énorme investissement public « . Le parfait contraire du traitement réservé aux territoires de la République à reconquérir aujourd’hui.
Jean-François Bayart, L’Islam républicain. Ankara, Téhéran, Dakar, Albin Michel, 432 p., 24 euros
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