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La Turquie et le printemps arabe 21 septembre 2011

Posted by Acturca in Middle East / Moyen Orient, Turkey / Turquie.
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Al Ahram Hebdo (Egypte) semaine du 21 au 27 septembre 2011, numéro 889

Hicham Mourad

En plein essor économique et politiquement stable, la Turquie du parti de la Justice et du développement (AKP) est à l’assaut du monde arabe, profitant de la conjoncture actuelle communément appelée le « printemps arabe ». Sans surprise, le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a opté pour une tournée régionale qui l’a amené dans les trois pays de l’Afrique du Nord dont les populations sont arrivées à bout de leurs dirigeants : Egypte, Tunisie et Libye.

Consacrant une place spéciale dans sa tournée à l’Egypte, vu son poids dans la région, Erdogan, accompagné d’une large délégation de ministres et d’hommes d’affaires, y a signé 11 accords de coopération portant sur l’énergie et les ressources naturelles, les communications, l’éducation, les technologies, le tourisme ou les médias. Des promesses ont été faites lors de sa visite pour porter les transactions commerciales bilatérales de 3,2 milliards de dollars en 2010 à 5 milliards dans deux ans et à 10 milliards dans quatre ans, et pour accroître les investissements turcs en Egypte de 1,5 milliard à 5 milliards. Les deux pays ont également créé un conseil suprême de coopération stratégique, qui se réunira une fois par an au niveau des premiers ministres et deux fois au niveau des experts.

L’objectif de l’offensive de la Turquie est clair : accroître sa présence économique et son influence politique dans le monde arabe. Ce but n’est pas nouveau : la Turquie de l’AKP avait déjà renforcé ses rapports économiques et sa présence diplomatique dans la région ces dernières années. Avec l’Egypte, l’accord de libre-échange signé en 2007 s’est traduit par le triplement en trois ans du volume des échanges commerciaux, qui est passé de 1 milliard de dollars à 3,2 milliards en 2010. Des accords semblables ont été signés avec la Syrie, le Liban et la Jordanie, à l’occasion du Forum de coopération économique arabo-turque, tenu en juin 2010 à Istanbul.

Deux raisons profondes expliquent l’offensive de charme turque qui ne date pas d’hier, mais qui s’est progressivement engagée pendant les quelques dernières années. Premièrement, la croissance économique turque s’est envolée ces dernières années, faisant de la Turquie l’une des grandes économies émergentes. En 2010, sa croissance était de 9,8 %. Au premier trimestre 2011, elle était de 11 %. Il était donc normal dans ces conditions que la Turquie s’emploie à assurer son expansion économique — investissements et débouchés commerciaux — dans les pays voisins, dont le monde arabe. Le commerce entre la Turquie et le monde arabe compte actuellement pour 20 % du produit national brut turc. Deuxièmement, l’arrivée au pouvoir de l’AKP en 2002 a ajouté une dimension « idéologique » au rapprochement avec le monde arabe. L’AKP, aux racines islamistes, veut capitaliser sur l’histoire et l’héritage communs avec les pays arabes, qui étaient dominés des siècles durant par l’Empire ottoman. Pour l’AKP, le monde arabe est un espace important d’expansion politique et économique auquel il faut accorder l’intérêt qu’il mérite, après avoir été délaissé au profit de l’Occident pendant des décennies, depuis la fondation de la Turquie moderne par Mustafa Kemal Atatürk en 1923.

Le refus jusqu’ici de l’Union Européenne (UE) d’accepter l’adhésion de la Turquie a certes joué un rôle dans la réorientation de la politique étrangère d’Ankara. Sans perdre de vue son désir de faire un jour partie de l’UE, le rapprochement avec le monde arabe est aussi pour la Turquie un moyen de montrer son importance à l’Europe en tant que « pont » entre l’Occident et l’Orient, et comme force de modération au sein du monde islamique en général.

Les soulèvements populaires arabes ont offert à la Turquie une occasion en or pour renforcer sa stature dans le monde arabe. Son cheval de bataille en la matière est la question palestinienne. Il n’était donc pas surprenant de voir Erdogan consacrer presque l’intégralité de son intervention devant la Ligue arabe à ce dossier. Les positions fermes prises par Ankara vis-à-vis de Tel-Aviv au sujet de la question palestinienne, depuis l’offensive meurtrière contre la bande de Gaza en décembre 2008-janvier 2009, ont apporté de l’eau au moulin de la Turquie auprès des opinions publiques arabes. Celles-ci sont majoritairement hostiles à l’Etat juif en raison de sa politique envers le peuple palestinien. Cette hostilité a pris une tournure dramatique en Egypte ces dernières semaines après le meurtre par l’armée israélienne de cinq gardes-frontières égyptiens dans Sinaï, le 18 août. C’est donc dans un climat particulièrement favorable qu’Erdogan s’est rendu en Egypte, où il a reçu un accueil populaire singulièrement chaleureux. L’homme ordinaire pouvait facilement établir une comparaison entre la récente décision turque d’expulser l’ambassadeur d’Israël et le gel des accords de défense et de coopération commerciale avec Tel-Aviv — à la suite du refus d’Israël de présenter des excuses à Ankara pour le meurtre de 9 militants turcs pro-palestiniens en mai 2010 — et ce qu’il considère comme un manque de fermeté à l’égard de l’Etat juif de la part des nouvelles autorités égyptiennes, qui ont refusé de rappeler leur ambassadeur à Tel-Aviv ou d’expulser l’ambassadeur d’Israël.

Dans son offensive, le chef de l’AKP n’a pas oublié que les pays du printemps arabe sont à la recherche d’un nouveau système politique et que le modèle turc

le peut tout à fait les inspirer. Erdogan n’a donc pas manqué l’occasion, lors de sa tournée régionale, de faire l’éloge et la publicité du modèle turc, prêchant son adoption, car il a réussi à concilier islam et démocratie. Son appel a été pourtant accueilli avec réserve par la vieille garde des Frères musulmans, qui n’ont pas accepté son idée d’élaborer une Constitution séculière. Le modèle turc et l’AKP restent cependant une source d’inspiration pour de larges segments d’islamistes en Egypte, notamment les jeunes Frères musulmans. En Tunisie, le parti islamiste Ennahda, donné favori des prochaines élections de l’Assemblée constituante le 23 octobre, se plaît à se comparer à l’AKP. En Libye, le Conseil national de transition au pouvoir a souvent prôné un islam modéré, comme celui appliqué par l’AKP en Turquie.

Vue du monde arabe, la Turquie exerce aujourd’hui une attirance certaine pour sa puissance économique et son modèle politique alliant islam modéré et démocratie. Cette réalité était présente dans les esprits des dirigeants turcs lorsqu’ils ont rapidement adapté leur politique étrangère face à la nouvelle donne dans le monde arabe. Bien qu’elle ait longtemps maintenu de bons rapports avec les régimes arabes désormais renversés, la Turquie s’est vite rangée du côté du changement. Nous le voyons aujourd’hui par le biais des critiques acerbes exprimées par Erdogan à l’encontre du président syrien Bachar Al-Assad. La Turquie a bien déchiffré les récents développements dans le monde arabe et a parié sur l’avenir. Elle voit juste

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