Vote des étrangers : « on fantasme sur l’élection de 36 000 maires par 7 millions d’étrangers »

Sud Ouest.fr (France) Vendredi 25 novembre 2011

Jean-Denis Renard

Le refus de Nicolas Sarkozy d’accorder le droit de vote aux étrangers pour les élections locales agace les communautés immigrées qui se retrouvent une fois de plus exposées. Témoignages

Français d’origine turque, Mustafa Yildiz, qui siège au conseil municipal de Cenon (33), déplore que la génération des travailleurs arrivés en France dans les années 1970 ne puisse participer aux scrutins locaux

Ils n’ont rien demandé. Pas cette fois-ci en tous les cas. « Ce n’est pas une revendication dans la communauté. Cette histoire est agitée depuis trente ans. Tout a été dit. On sait très bien que cette mesure pourrait entrer en vigueur moyennant la définition de quelques critères simples, sur le nombre d’années de résidence par exemple. Alors pourquoi revenir à la charge ? On s’adresse à qui ? A quoi ? » s’interroge Taoufik Karbia, un des deux directeurs de l’ALIFS, l’Association du lien interculturel, familial et social, créée à Bordeaux par les Tunisiens de France.

A l’image de ce responsable associatif, nombreux sont les personnes issues de l’immigration à mettre en doute la pertinence du débat politique sur le droit de vote des étrangers (hors Union européenne) aux élections locales. « La gauche a porté cette proposition pendant des années. Mitterrand ne l’a pas concrétisée en 14 ans de pouvoir, Jospin non plus en cinq années passées à Matignon. L’UMP aurait pu créer la surprise, elle ne l’a pas fait. Au final, ce n’est que de la parlotte », s’emporte Mustafa Yildiz, qui siège au Conseil municipal de Cenon, l’une des banlieues de la rive droite de Bordeaux.

Adhérent du Modem, Français d’origine turque, Mustafa Yildiz déplore que la génération des travailleurs arrivés en France dans les années 1970 ne puisse participer aux scrutins locaux. « Mes parents sont en France depuis 1974. Ils ont passé plus de la moitié de leur vie ici. Ils iraient voter. Ils ne peuvent le faire ni ici, ni pour les élections turques », déplore-t-il.

Français en France et Tunisien en Tunisie, Taoufik Karbia n’est pas convaincu que la question du droit de vote captive au plus haut point les communautés immigrées. « Seule une petite minorité irait voter, alors que cette question fait beaucoup de torts à tous les immigrés. On recommence à fantasmer sur l’élection de 36 000 maires par sept millions d’étrangers, ça commence à bien faire », dénonce-t-il. Selon lui, ce débat est d’autant plus artificiel « qu’on n’a rien fait pour que ces populations s’intéressent à la politique. On ne fait rien de façon plus générale pour que les classes populaires s’y intéressent. Toute cette agitation va encore plus éloigner de la politique ces gens qui se sentent stigmatisés. Elle va renforcer la suspicion envers un monde qui n’est pas le leur », appuie-t-il.

Pour Mustafa Yildiz, l’octroi du droit de vote aux élections locales aurait au moins le mérite de sensibiliser quelques-uns au processus démocratique. « On s’étonne que les jeunes des banlieues ne votent pas. Mais les parents n’ont jamais pris leur enfant par la main pour aller voter un dimanche matin. L’éducation, ce sont tout de même les parents qui la font », argumente-t-il.

Mais tous deux se rejoignent sur la même analyse quand Nicolas Sarkozy propose à tous ceux qui ont faim de vie civique de demander la nationalité française. « On nous demande d’être français alors qu’il est de plus en plus compliqué de le devenir », s’exclame Mustafa Yildiz. « Tout cela n’est pas sérieux. Ça ne fait avancer personne. Qu’on réfléchisse à la façon de faire participer les immigrés à la vie politique au lieu de faire du bruit autour du droit de vote », conclut Taoufik Karbia.