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«Le Moyen-Orient de demain sera morcelé» 28 novembre 2011

Posted by Acturca in Middle East / Moyen Orient, Religion, Turkey / Turquie.
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Le Temps (Suisse) lundi 28 novembre 2011

Antoine Sfeir

Antoine Sfeir est un observateur du Moyen-Orient bien connu et régulièrement sollicité par les médias français. Journaliste et fondateur de la revue Les Cahiers de l’Orient, ce Franco-Libanais et chrétien maronite donnera une conférence* mardi à Genève sur les tensions politiques et les perspectives d’avenir de cette région. Entretien

Le Temps: Quel est ce «Nouveau Moyen-Orient» dont vous allez parler à Genève?

Antoine Sfeir: Ce Moyen-Orient qui se dessine respecte mieux les frontières naturelles des tribus, des ethnies et des communautés, mais provoque aussi l’éclatement de la région et des pays eux-mêmes. Par exemple, l’Irak est devenu trois pays en un, la partition existe de fait au Liban, l’éclatement menace en Syrie et certains Coptes exilés aux Etats-Unis ont lancé l’idée d’un foyer national copte chrétien en Egypte.

Une multitude de nouveaux pays vont donc surgir?

Moshé Sharett, qui fut ministre des Affaires étrangères israélien dans les années 54-55, écrivait dans ses Mémoires que le devenir de l’Etat d’Israël dans la région ne pouvait se faire que dans le cadre d’entités communautaires et ethnico-religieuses. Aujourd’hui, c’est chose faite. Et ce morcellement communautaire concerne aussi l’Afrique du Nord. Prenez le gouvernement provisoire kabyle à Paris, les revendications berbères au Maroc…

La Libye risque-t-elle aussi d’éclater?

Tout à fait! Le gouvernement qui vient d’être formé n’a encore englobé ni le Fezzan, ni la Tripolitaine. Nous en sommes aux règlements de comptes. Kadhafi avait un rapport clientéliste aux tribus. Quand elles grondaient, il ouvrait les vannes et tout s’arrangeait. Là, il va y avoir d’autres motifs d’énervement. Le CNT est en quête d’un équilibre tribal et régional.

 Les révolutions qui secouent le monde arabe marquent-elles la fin du «vieux» Moyen-Orient?

Voyez comment réagissent les Egyptiens, qui voient leur révolution confisquée, comment ils tonnent contre le général Tantaoui, qui tente de se profiler comme le nouveau pharaon. Je crois qu’on n’acceptera plus jamais un pouvoir figé pendant 30 ans. Et pourtant, le peuple égyptien a toujours eu besoin d’un pharaon…

Comment interprétez-vous les motivations de la jeunesse égyptienne? Un désir d’Occident?

Je dirais même plus, un désir républicain, de laïcité.

Un désir contrarié par les partis religieux?

Il fallait s’y attendre: après 30 ans de dictature, d’oppression et de corruption, les islamistes ont su constituer une grande famille. En Tunisie, bien qu’il prétende ne pas toucher aux principes fondamentaux, Hammadi Jebali [le secrétaire général du parti Ennahda, grand vainqueur des législatives du 23 octobre] a annoncé le retour au salaf, à l’islam pur, originel. Il n’a pas hésité à annoncer l’avènement du sixième Califat! Je crois que la démocratie est le pire ennemi des islamistes.

Ne sont-ils pas solubles dans un régime parlementaire?

Pour l’heure, Ennahda se dissimule. Les islamistes se veulent rassurants pendant le processus de création de la Constitution, et au bout d’un an, s’ils remportent également la majorité absolue aux élections législatives, ils auront les mains libres.

Que pensez-vous du fameux «modèle turc»?

C’est une imposture de leur part. Ankara ne cherche qu’à affirmer ses ambitions impérialistes. Et contrairement aux pays arabes, la Turquie possède une Constitution laïque. Je rappelle enfin que le premier ministre Erdogan a tenté de changer la Constitution afin de réislamiser les institutions politiques, mais sans succès jusqu’à ce jour.

Craignez-vous l’exode définitif des chrétiens au Moyen-Orient?

Non, je crois que notre destin est de toujours vivre au bord d’un précipice et de lutter contre le risque d’y sombrer. Aujourd’hui, nous sommes la cible des salafistes. Voyez la Syrie: à Homs, ville chrétienne, les salafistes sont en train de pourrir l’insurrection contre Bachar el-Assad en s’en prenant à nous.

Y a-t-il une lueur d’espoir?

Je vois d’abord un accroissement des tensions communautaires. La libéralisation du Moyen-Orient n’est pas pour demain. Tout est à construire: le citoyen, l’Etat, le pluralisme. Je n’ose parler encore de démocratie!

* Sous les auspices de Convergences et la Société d’entraide des membres de la Légion d’honneur (section suisse). Hôtel Beau-Rivage, Genève, 19h. Renseignements et inscription: http://www.e-convergences.ch

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