«Rien à voir avec la place Tahrir du Caire!» 3 juin 2013
Posted by Acturca in Istanbul, Middle East / Moyen Orient, Turkey / Turquie.Tags: AKP, bancaire, CERI, Egypte, Elise Massicard, Institut français d'études anatoliennes, Ovipot, Recep Tayyip Erdogan, Tahrir, Taksim
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Le Soir (Belgique) lundi 3 juin 2013, p. 2-3
Entretien
Propos recueillis par Anne Andlauer
Elise Massicard, chercheuse associée au Ceri (Centre d’études et de recherches internationales de sciences po-Paris), est responsable de l’Observatoire de la vie politique turque au sein de l’Institut français d’études anatoliennes d’Istanbul.
Comment expliquer que cette contestation, centrée au départ sur la sauvegarde d’un parc, ait pris une telle ampleur en l’espace de quelques jours?
Premièrement, la mobilisation autour du parc s’inscrit dans la continuité d’une série de petites mobilisations sur des projets urbains dans le quartier et ailleurs: la destruction du cinéma historique Emek, le troisième pont sur le Bosphore… Autant de contestations certes localisées mais qui n’ont pas du tout été entendues par le pouvoir. Mais ce qui a surtout contribué à la mobilisation, c’est tout simplement la répression, l’usage à grande échelle de gaz lacrymogènes.
Il y a eu un vrai décalage entre des militants tout à fait paisibles et des policiers qui utilisaient des moyens que beaucoup ont trouvés disproportionnés. Cette disproportion a légitimé la mobilisation de beaucoup de gens qui n’avaient rien à voir avec le parc mais se sont sentis concernés et ont voulu dire: «Ça suffit, c’est trop!»
Les comparaisons se multiplient entre la place Taksim d’Istanbul et la place Tahrir du Caire. Certains parlent même d’un «printemps turc». Qu’en pensez-vous?
Il faut prendre cette comparaison facile avec des pincettes. La situation est très différente. Le système turc a ses imperfections, mais il n’empêche que le gouvernement a été élu avec une large majorité. Rien à voir, donc, avec l’Egypte d’avant les changements politiques. Par ailleurs, les printemps arabes ont beaucoup été portés par des groupes conservateurs musulmans et islamistes. En Turquie, c’est complètement l’inverse. A de très rares exceptions près, les islamistes sont peut-être les seuls qui ne sont pas dans la rue! Ce qui est intéressant, c’est que le mouvement d’occupation de Taksim fait aussi référence au mouvement Occupy Wall Street et à d’autres vagues de protestation ailleurs dans le monde.
Le Premier ministre Erdogan gouverne depuis dix ans. Pensez-vous qu’il sortira fragilisé de ces événements sur la scène nationale, alors qu’une année électorale se profile pour 2014, mais aussi sur la scène internationale?
Ce qui est sûr, c’est que l’image d’Erdogan comme un leader extrêmement populaire, invincible et intouchable est écornée. Au niveau international, il y a eu beaucoup de réactions négatives, notamment sur l’usage de la force. C’est donc un mauvais point pour Erdogan, déjà critiqué depuis un certain temps pour le caractère autoritaire de son pouvoir. Sur la scène nationale, l’opposition était jusqu’ici relativement discrète. Ces manifestations ont montré qu’il y avait beaucoup de mécontentement, finalement peu canalisé par les partis d’opposition. Si des élections ont lieu demain, Erdogan gagnera probablement, car il n’y a pas beaucoup d’alternatives crédibles. Mais quelque chose a peut-être été brisé au niveau de sa légitimité à diriger le pays.
De plus, d’autres figures au sein de son parti ont tenu des discours beaucoup moins intransigeants sur les manifestations, à commencer par le président de la République, Abdullah Gül. C’est important pour les équilibres au sein de l’AKP (Parti de la justice et du développement). On voit toujours Erdogan comme un leader incontesté mais la question de sa succession se pose, même s’il est élu président l’an prochain, comme il le souhaite. Je pense que d’autres personnalités au sein de l’AKP ont acquis plus de légitimité à la faveur de ces événements.
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