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Le miracle du Bosphore attendra 27 juin 2013

Posted by Acturca in EU / UE, Turkey-EU / Turquie-UE.
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Le Monde (France)  jeudi 27 juin 2013, p. 21

par Arnaud Leparmentier

C’était un temps où l’on pouvait encore rêver d’Europe. C’était avant 2005 et le non français à la Constitution européenne. Avant la crise de l’euro. Dany Cohn-Bendit rêvait mieux que les autres. « L’Europe est une suite de miracles », chantait en 2004 le héros de Mai 68. Après le « miracle du Rhin », qui permit la réconciliation franco-allemande, était venu, avec l’élargissement de l’Union aux pays de l’Est, le « miracle de l’Oder », qui réunit désormais l’Allemagne à la Pologne. « Il nous reste à réaliser le miracle du Bosphore. Peut-être le plus difficile », proclamait Cohn-Bendit, fervent partisan de l’adhésion de la Turquie à l’UE.

L’alliance de l’Occident chrétien avec le monde musulman, la construction d’un pont entre l’Europe et l’Asie : quel projet! Il s’agissait de démontrer, après l’invasion de l’Irak par Bush junior, que l’Europe n’était pas un club chrétien et éviter le « choc des civilisations » annoncé par l’Américain Samuel Huntington.

Quelques jours après la dispersion des manifestations de la place Taksim, ce mini-Mai 68 à Istanbul, Cohn-Bendit rêve toujours. Mais ouvre les yeux. « Le miracle du Bosphore? On prend rendez-vous dans un demi-siècle », glisse le président des Verts au Parlement européen. Et de concéder : « Il faut arrêter : la Turquie n’intégrera pas l’Union européenne. C’est réglé, c’est fini. Il faut voir quel type de partenariat privilégié on peut développer. »

Le diagnostic de Cohn-Bendit est largement partagé. Calmement. En fait, la querelle turque est close. Si elle déchaîna tant de passions dans les années 2000, c’est qu’elle posait à l’Europe des questions existentielles. La première portait sur son identité. La vision des pères fondateurs était à la fois chrétienne (Schuman, Adenauer et De Gasperi étaient catholiques et germanistes) et universelle, onusienne à l’image de Jean Monnet. L’accueil de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan, qualifié alors d’islamiste modéré, était une tentative d’affranchir l’Europe de ses racines chrétiennes et d’en faire un projet fondé sur des valeurs devenues universelles à la fin de la guerre froide.

Ce projet a échoué. Par sa dérive autoritaire, Erdogan n’a pas démontré qu’il pouvait concilier islam et démocratie. Au contraire, son régime se durcit, la pression religieuse aussi. L’homme fort d’Ankara ne peut plus se présenter en modèle magnifié des révolutions arabes, dont aucune n’a accouché d’une démocratie répondant aux critères occidentaux. Paradoxalement, le durcissement turc, conjugué à celui de la Russie, a un mérite : redonner à l’Europe une identité, des valeurs et une frontière.

Second enjeu, la finalité de l’Europe. L’UE est-elle un instrument géopolitique, confié aux diplomates du Foreign Office, voire du Quai d’Orsay, qui fait de la promesse d’élargissement un outil de pression efficace sur ses voisins ou s’apparente-t-elle à un projet politique à finalité fédérale?

« Angleterre du Sud »

Les partisans de la thèse géopolitique sont les Britanniques, soutenus par les Américains, soucieux d’inclure dans l’Europe l’ancien Empire ottoman, appelé à faire tampon avec le Caucase, la Syrie, l’Irak et l’Iran. Ils ont été déçus par l’affranchissement d’Erdogan : la Turquie a beau faire partie de l’OTAN, elle s’affirme en puissance autonome. Cette « Angleterre du Sud » a joué la carte, non pas du grand large, mais de l’Orient. Seule.

Les partisans de l’Europe politique ont cru déceler dans la Turquie l’élargissement de trop qui empêcherait le saut fédéral. Imagine-t-on que ce pays envoie plus de députés à Strasbourg que l’Allemagne, qu’Erdogan se soumette à la Commission? Irréaliste, en effet. Pourtant, la crise de l’euro en a décidé autrement. L’Europe s’est effondrée par son centre, pas par sa périphérie. C’est autour de la monnaie unique qu’elle reconstruira son projet, tandis que l’Union élargie ne sera jamais davantage fédéralisée. Fédéralistes et diplomates sont donc renvoyés dos à dos : la Turquie n’empêche pas l’Europe politique, mais elle ne sera pas non plus l’instrument d’une Europe puissance.

La Turquie n’est plus vraiment un enjeu de politique intérieure. Les Européens soutiennent les manifestants de la place Taksim, comme les Français défendaient la révolution en Tunisie. Avec amitié et compassion, mais en se jugeant différents. Il y a bien quelques soubresauts en Allemagne. Der Spiegel a fait un « coup » en publiant dix pages d’enquêtes, en turc et en allemand. Angela Merkel a été accusée de faire de la politique intérieure en se disant « épouvantée » par la répression place Taksim. Mais est-elle plus amène avec la Russie poutinienne?

Il faut inventer un nouveau mode d’emploi pour renouer avec cette puissance émergente au potentiel économique formidable, et Bruxelles est à la peine. L’UE avait prévu de négocier des accords de réadmission pour les immigrés clandestins entrés en Europe par la Turquie. En échange, l’Europe promettait de faciliter les visas pour les Turcs.

Le processus est menacé, tout comme les négociations d’adhésion qui devaient reprendre cette semaine avec l’ouverture du chapitre sur la politique régionale. Dans un lâche compromis conclu mardi 25 juin, l’échéance a été repoussée à octobre, après les élections allemandes.

« Nous avons perdu tous nos leviers d’action sur la Turquie », confie un fonctionnaire bruxellois, qui ajoute : « Nous ne parviendrons pas à aller plus loin avec Erdogan. » Mais Dany Cohn-Bendit, tel Sisyphe heureux, ne renonce jamais : « Ouvrons les négociations sur les droits de l’homme et la justice. »

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