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Erdogan joue quitte ou double 30 mars 2014

Posted by Acturca in Turkey / Turquie.
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Le Journal du Dimanche (France) 30 mars 2014, p. 12

Alexandre Duyck, envoyé spécial, Istanbul (Turquie)

Si le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, perd les élections municipales dimanche, en plein scandale de corruption et d’interdiction des réseaux sociaux, son avenir à la tête du pays sera fortement compromis.

Il n’est candidat à rien et s’offre pourtant une arrivée en imperator. Le bus entièrement recouvert de son image se gare devant la grande mosquée du quartier de Maltepe, sur la rive asiatique d’Istanbul. Droit comme un I, Recep Tayyip Erdogan se dresse à l’avant du véhicule puis en surgit sous les acclamations de milliers de personnes et monte sur l’estrade. Tireurs d’élite postés sur les toits et aux balcons des minarets, gardes du corps partout, camions équipés de canons à eau, le dispositif policier est digne d’une visite officielle d’un président des États-Unis. Alors que nous ne sommes qu’à la veille des élections municipales.

Premier ministre depuis douze ans, Erdogan, l’ancien gamin vendeur de rue devenu maire d’Istanbul, ne se présente pas aujourd’hui devant les 10 millions d’électeurs que compte la plus grande ville de Turquie. Mais d’un scrutin local, le « sultan », comme l’appellent ses détracteurs, a fait un enjeu national aux allures de référendum personnel. Histoire de tenter de taire les contestations qui depuis plus d’un an ont considérablement fragilisé le leader cité en exemple à travers le monde arabo-musulman depuis les révolutions de 2011.

Ankara pourrait passer à l’opposition

Se présenter sur les listes de son parti, l’AKP, renvoie dès lors au rôle ingrat de figurant. Candidate dans une mairie d’arrondissement, Edibe Sözen Yavuz écoute ainsi le Premier ministre haranguer la foule, se contentant d’un numéro de mime pour accompagner de la tête ou des mains les bons mots ou diatribes de l’excellent orateur qu’est Erdogan, leader au discours à la fois pieux et viril : « Nous ne nous agenouillons devant personne si ce n’est pour prier et ne craignons personne à l’exception du Tout-Puissant. »

En ville, dans une simple permanence, un bureau d’arrondissement puis au siège de l’AKP, impossible de trouver un interlocuteur habilité à évoquer les élections municipales. À croire qu’il faut aller en personne écouter la bonne parole prêchée par le maître de la Turquie. Que dit-il au sujet de ses adversaires, notamment le principal parti d’opposition (CHP) qui, s’il n’est pas encore en mesure de le faire chuter, pourrait s’emparer ce soir de la mairie d’Ankara, la capitale? « Ils vivent dans le passé et ne font que parler et critiquer. Ces douze dernières années, qui a construit 17.000 km d’autoroutes? Qui a augmenté le PIB, fait baisser l’inflation, remboursé la dette du pays au FMI, rempli les réserves de la banque centrale? Qui sinon nous? »

« Erdogan, voleur ! »

Au même moment, devant l’embarcadère qui conduit à la rive européenne, des milliers de supporters hurlent un tout autre slogan : « Erdogan voleur! Erdogan voleur! » Depuis des semaines, des écoutes téléphoniques pirates ont peint le Premier ministre en parrain mafieux extorquant des pots-de-vin aux patrons ou en autocrate imposant leur une aux médias. Des écoutes largement relayées par les réseaux sociaux Twitter et YouTube, dont Erdogan, contre l’avis de la communauté internationale et des tribunaux de son propre pays, a ordonné l’interdiction, il y a dix jours pour Twitter, jeudi pour YouTube. Le geste d’un autocrate aux abois? « Pas du tout », estime Ahmet Insel, professeur d’économie et de sciences politiques à Paris et Istanbul. « Ce pouvoir autoritaire a besoin de renforcer son caractère autoritaire, de montrer de quoi il est capable. Les réseaux sociaux permettent de l’accuser de corruption et de malversations? Il décide de bloquer leur accès en estimant que ces ‘informations’ relèvent d’un complot. Et ces arguments portent auprès de son électorat. »

Ancien sergent de l’armée de l’air, Harum Coskum dit aimer Erdogan « à en mourir ». « Twitter et YouTube, ce sont quoi? Des entreprises américaines… Les bloquer ne nous empêche pas de continuer à communiquer. » La thèse du complot ourdi de l’étranger, notamment par ses anciens alliés de la communauté religieuse de l’imam Fethullah Gülen pour déstabiliser le pays via sa personne? Pour Melek Yilmaz et Kezban Balaka, toutes deux présentes au meeting de Maltepe, « ce sont effectivement les ennemis d’Erdogan qui cherchent à le faire tomber au travers de ces accusations. Les Américains… Ou alors Israël, peut-être. Mais nous, on l’aime parce qu’à Istanbul, il a amélioré la distribution de l’eau, réduit les files d’attente à l’hôpital et nettoyé la ville des tas d’ordures qui la jonchaient avant qu’il n’arrive. » Harum Coskum acquiesce : « Peut-être qu’il est corrompu mais de toute façon tous les politiciens le sont. Ce qui compte, c’est le travail accompli et lui a beaucoup travaillé pour son pays. »

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La voix brisée, il ne lâche rien

Dans les locaux du parti adverse, le CHP, militants et responsables partagent l’avis de ce diplomate en poste en Turquie, selon qui « Erdogan n’agit plus en homme d’État mais en chef de bande. Sa fin est proche, la question est de savoir à quelle échéance et à quel prix pour le pays ». Dans le quartier populaire de Beyoglu, Mustafa Aydin, l’un des leaders locaux du CHP, veut croire que « pour Erdogan, c’est ici, à Istanbul, que l’histoire a débuté et c’est ici qu’elle va finir. Les centaines de milliers de manifestants qui ont défilé depuis juin 2013 ont lancé un mouvement comme il n’en avait plus existé depuis des années. Ils ont dit non à ce parti autoritaire qu’est l’AKP, non à la volonté d’un homme qui, en bloquant l’accès aux réseaux sociaux, se comporte en dictateur ».

En attendant, Erdogan ne lâche rien. Jeudi, la voix brisée, il a tout de même tenu un autre meeting, au risque de se faire ridiculiser par les créateurs anonymes de la page Facebook Faiz Lobisi (près de 2 millions de visiteurs en une semaine) qui ont plaqué la voix du Premier ministre sur une marionnette du Muppet Show. Cruel et réussi, le montage n’a pas fait rire les partisans du Premier ministre. Au contraire, il a ragaillardi ces électeurs souvent issus des classes populaires et pieuses qui, comme l’analyse Ahmet Insel, s’identifient en cet homme « qui a toujours mis sa foi en avant et donne l’impression de se sacrifier pour le bonheur des siens ».

 

Erdogan-Gülen, une lutte sans merci

Un « gang criminel » qui complote depuis l’étranger pour provoquer sa chute. Des militants qui useraient de méthodes de « pédophiles » … Recep Tayyip Erdogan n’a pas de mots assez durs pour qualifier la confrérie de l’imam Fethullah Gülen, un septuagénaire reclus depuis 1999 dans une propriété sécurisée aux États- Unis d’où il dispense à ses fidèles un islam résolument tourné vers l’Occident. Aux yeux du Premier ministre, la confrérie, après avoir infiltré police et magistrature, serait à l’origine des fuites récentes sur les affaires de corruption le concernant. Fondée en Turquie à la fin des années 1970, Gülen se présente aujourd’hui comme un regroupement de plus d’un millier d’écoles et de dizaines d’universités en Turquie et à l’étranger, mais aussi de chefs d’entreprise et de puissants médias, dont le premier quotidien turc, Zaman, contre qui Erdogan est entré en guerre. Une purge organisée contre la confrérie de l’imam

Gülen et Erdogan n’ont pas toujours été en froid. Après son arrivée au pouvoir en 2002, le Premier ministre s’est appuyé sur la confrérie… avant de décider de supprimer les écoles privées dépendant d’elle. D’où le déclenchement des hostilités entre les deux hommes. Erdogan, qui accuse la confrérie d’ourdir un complot contre lui, a ordonné des purges de grande ampleur, qui ont notamment visé plus d’un millier de policiers et plusieurs dizaines de procureurs chargés de superviser l’enquête anticorruption. De son côté, dans un entretien accordé le 21 janvier dernier au Wall Street Journal, Fethullah Gülen a accusé le gouvernement islamo-conservateur au pouvoir d’avoir remis en question « le progrès démocratique » dans le pays ces deux dernières années.

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